samedi, juin 29

[Ce soir...] Joues de raie, mousseline de brocoli et câpres, risotto safrané



Majestueux, impressionnants et géométriquement différents, les rajiformes sont un peu les zèbres de la savane sous-marine. Généralement assez amicaux vis-à-vis des bipèdes potentiellement curieux que nous prétendons être, ils continuent de séduire plus d'un regard émerveillé dans les parcs zoologiques et autres infrastructures spécialisées en biologie marine. Qui, parmi nous, a pu résister au fameux guiliguili du tégument rugueux recouvrant l'animal finalement assez peu farouche, à la limite de la synanthropie (pauvre de lui !).

Or, ombre au tableau ou possibilité sustentatrice supplémentaire (selon les principes et appétits de chacun), il semblerait que ce joli minou-minou des mers possède une chair relativement prisée des piscivores convaincus et souvent voraces. Hélas, hélas ! La plupart des établissements qui la proposent se contentent de n'en préparer que les « ailes », à savoir, une partie seulement de leurs nageoires...

Le reste est-il rejeté à la mer ? Négligemment envoyé aux ordures et en pâture aux félidés affamés de passage ? Ou, au mieux, recyclé dans un potage récup' de fortune ? Il est malheureusement très probable qu'il en soit ainsi...

Néanmoins, quelques rares poissonniers, qui résistent encore et toujours à l'envahisseur industriel grégariste, semblent rendre un hommage bien plus personnel et réfléchi à l'animal en en proposant d'autres parties, et notamment les joues. Il en va, à ce niveau, des connaissances culinaires élémentaires ; veau, vache, cochon (couvée !), cabillaud, lotte... tous ces animaux ont le point commun d'arborer leurs chairs les plus succulentes de la manière la plus ostentatoire qui soit : sous les yeux, entre les oreilles/ouïes et la bouche.

Or, malgré l'envergure impressionnante que peuvent avoir certains spécimens, leur faciès on ne peut plus plat ne laisse pas réellement place au développement d'une charmante boubouille rebondie. Fragiles et de taille modeste, les joues sont généralement vendues avec le cartilage qui les soutient ; ce dernier devra être conservé lors de la cuisson afin de ne pas risquer de trop charcuter chaque pièce.

La cuisson, parlons-en ! Rien de très sorcier ; un peu d'huile d'olive dans une sauteuse en inox, un feu moyen, et les joues y trouveront leur compte. Bien que ressemblant, en termes de délicatesse et de masse, à des noix de Saint-Jacques, les morceaux devront être cuits un peu plus longtemps ; comptons un petit quart d'heure à feu moyen (dont cinq minutes à couvert). Si l'humidité venait à manquer, n'hésitons pas à ajouter une goutte de vin blanc sec qui parfumera, au passage, les chairs.

C'est doux, délicat et ça fond sur la langue... Et puis quoi ? Un petit risotto, par exemple : safrané et auquel sera ajouté, en fin de cuisson, les sommités crues d'un bouquet de brocoli bien frais. Et, comme rien de se perd, le pied et le restant du bouquet seront cuits à la vapeur avant d'être mixés avec quelques câpres (sempiternels alliés dudit poisson) au vinaigre, un peu de bouillon restant après préparation du risotto, un rien de sel et du poivre blanc ; il en résultera une mousseline parfumée dans laquelle vous pourrez trempouiller goulument chaque bouchée poissonneuse.

En compagnie d'un bon petit chardonnay argentin, voilà de quoi faire joue-joue avec distinction en ce gris début de congés scolaires.

À vous de goûter !

lundi, juin 24

[Papilles aux aguets] Le Maatje (Hollandse Nieuwe)

 
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Jeune hareng qui êtes goûteux
Dont les mangeurs sont sans pitié
Que ta saison vienne
Que ton rituel soit fête
Sur oignons en rondelles

Donne-nous aujourd'hui le festin de ce jour
Pardonne-nous nos pitances 
Auxquelles nous succombions alors sans vouloir t'offenser
Et ne nous enlève pas notre tranche de citron
On t'attend sur nos étals...

Ramène !

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À vous de goûter !



lundi, juin 17

[Ce soir...] Brochette de lotte et chorizo grillée, salade de pommes de terre froides paprika-moutarde et asperges froides vinaigrées


Le vent se calme, la pluie cesse, les nuages gris houille se disloquent en de pâles voiles paisibles... Tout semble prompt au retour de la quiétude, à la renaissance logique des cris d'oiseaux ; le sombre, le mal semblent déjà à mille lieues, évaporés ou boutés hors de la présente sérénité... 

C'est alors que, venu du fin fond d'une somptueuse vallée harmonieusement sauvage et préservée de la civilisation, tandis que le merle noir entame ses premières sérénades de l'après-midi, un grondement sourd et odieusement polyphonique gagne peu à peu en puissance et en échos horrifiants.

Une masse encore indistincte ponctuée de bras poilus et de jambes livides en short dégouline avec hâte vers les zones clairsemées de cette belle nature déjà souillée de remugles complexes rappelant tantôt une boisson gazeuse amère, tantôt la viande de porc moutardée...

« Buuuurp », tel résonne leur hypothétique cri de guerre... « Buuuurp », tel raisonnent-ils, enflés de bière. Et voilà subitement que les hurlements cessent ; certains individus, bien organisés, ôtent de leur dos des pièces blanches assez légères et rapidement assemblées en des surfaces rondes sur quatre pieds ; un deuxième groupe s'affaire à déplier de modestes montages de toiles et de métal lesquels seront ensuite disposés ça et là, généralement à proximité l'un de l'autre, dans le but ultime de permettre la position assise, gagnée non sans un gras soupir de soulagement et un modeste pet d'usage. Au loin s'agite ce qui semble être leur chef - barbu, trapu, bossu et fier d'aborder sa coiffe rouge semi-rigide hémicylindrique et allongée dont le taureau représenté en noir et blanc sur l'une des faces semble hurler le témoignage galvanisant d'une virilité indiscutable. Par un prodige non identifié, le surpuissant gaillard parvient à créer - sur quelques brindilles sèches savamment réunies - la chaleur, la lumière... le feu ! Fascinés par ce phénomène, synonyme de renaissance des annuelles libations estivales, les bipèdes s'avancent grommelant et ricanant vers les chaudes flammes puissantes...

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Je propose que nous en restions là. Après tout, libre à vous de vivre cette expérience riche en sensations que constitue le barbecue du Belge moyen.

Côtelette en berne, je vous propose la transgression, que dis-je, l'hérésie ! Ainsi, c'est loin des vitrines précautionneusement frotti-frottées au petit matin dans le but ambitieux d'en ôter les derniers résidus inégaux et protéiformes des expressions muqueuses et salivaires liquoreuses émises bien congrument (selon un usage consumériste pantomimique qui m'échappe...) par nombre d'à-vos-rangs-fixe affamés (mais bave en veilleuse ; tout de même !), lorgnant tel ou tel muscle moulu, cousu ou fignolé en boyau. C'est donc (pour nous résumer un fifrelin) loin du docte bidochard, que je m'ébaudis à vous emmener sans attendre.

Mais, vous pâlissez déjà, frêle hémoglobiné d'usage, vous qui ne considériez visiblement le rayon poissonnerie que comme un autel à la bonne conscience ou, pire, comme un pis-aller protéique, à présent que la chair de tout mammifère terrestre communément comestible a tâté de la pointe de vos fidèles et asservies canines.

Magnanime et tempérant serons-nous pour cette unique fois en vous imposant un poisson ferme et potentiellement assimilable à de la volaille. Dans notre élan de bonté, nous tâcherons même d'en agencer les morceaux en une pièce communément dévorée par les carnivoraces que vous êtes : la brochette ; le support étant, pour l'heure, insidieusement remplacé par une branche de romarin frais dénudée. Clémence des clémences, quelques rondelles de chorizo naturel insérées ça et là devraient vous rappeler votre passé déraisonnable de phagocyteur de bétail à bilan carbone suffocant.

Bien, vous vous écartez maintenant de la foule ripailleuse ; vous ne songez même plus à la partie de pétanque animée qui s'en suivra et que le gros dédé, débordant de merguez molle et de pain trop blanc, finira par gagner, comme toujours (trop fort, ce gros dédé...). Emportez donc votre brochette, un chouïa de salade de pommes de terre relevée et une dose respectable d'asperges froides bien assaisonnées ; tenez, asseyez-vous là, à l'ombre de cet arbre ; vous devriez pouvoir y manger seul, au calme, sans tape dans le dos ni karaoké endiablé.

À vous de goûter !



mercredi, juin 12

[Ce soir...] Paupiette braisée, sauce au vin rouge et aux oignons de printemps, rhubarbe poêlée au miel


Votre article après cette courte annonce publicitaire

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Bling Bling Slurp Slurp Bong Bong !


Bientôt l'été ! Pensez-y ! Il n'appartient qu'à vous d'être à la page ! Soyez dans le coup ! Suivez la tendance saisonnière !

Procurez-vous... votre botte d'oignons frais ! Eh oui, eh oui, très hâtif de la Reine ou blanc de Paris, le petit bulbe frais sera votre allié idéal sur les plages les plus hype de l'azurée mer du Nord.

Oubliez donc crèmes glacées chimiques et gaufres onéreuses. Croquez-y donc une fois, croquez-y donc deux fois ; inspirez, expirez... Et vous voilà soudainement seul(e), tranquille, parfaitement à même de profiter des doux parfums délicats gracieusement proposés par dame nature.

Bling Bling Slurp Slurp Bong Bong !

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Cornegidouille de bigre, ces offensives mercantilistes auront eu raison de ma santé mentale... Voilà que j'en perds le fil de mes idées... J'avais prévu... Non... Je pensais... Non plus... 

Oh, eh bien, mitonnons-les, ces satanés oignons... Par pur esprit de contradiction, cependant, et, accessoirement, pour éviter d'empuantir nos interactions sociales orales et postillonnantes, nous cuirons ces fameux bulbes. Un petit poêlon, un chouïa de matière grasse, une pincée de sucre, une cuillère à café de gros sel, de l'eau juste pour couvrir le tout, un feu doux (poil au roudoudou) pendant 10 minutes, et tendreté s'en suivra.

Mais tâchons de faire bonne figure à la suite de cette annonce publicitaire pour le moins envoûtante et alléchante... Donnez-moi le O ! Donnez-moi le I ! Donnez-moi le S ! Donnez-moi le E ! Donnez-moi le A ! Et balancez moi le U (au risque de vous lasser)... Bien, et maintenant, d'un coup sec, vous arrachez la partie supérieure... Tadaaaaam, voici... l'oiseau sans tête ! Celui que l'on appelle paupiette partout ailleurs, celui que tout petit belch' moyen a dû découvrir, avec dépit ou lassitude, boudineusement avachi dans une assiette usée à motif floral, bardé d'un côté d'une armée de petits pois flétris fatigués par le voyage en conserve et la cuisson excessive et, de l'autre, par une herse de frites dont la culminance exagérée faisait déjà réfléchir cœurs et cerveaux à des idées de fuite anticipée et autres stratégies de survie.

Dédiabolisons cependant ce qui doit l'être. Cette modeste préparation de boucherie n'est pas bien plus grasse qu'une boulette ordinaire de mémé Micheline (celle-là même qui trempait jadis sa tartine au saindoux dans sa chicorée, avant de trouver un repos [dé]mérité dans un accident de la circulation... routière, s'entend), que dis-je, elle aurait même l'avantage d'aligner deux textures et d'avoir une bien meilleure tenue à la cuisson (pas mémé Micheline, la paupiette ! Suivez un peu...).

Un braisage en bonne et due forme dans une sauteuse en compagnie de quelques lardons ; un peu de farine, un trait généreux de vin rouge ou de bière, quelques jeunes branches de thym, deux feuilles de laurier, un ou deux grains de poivre noir concassés, les oignons précuits, quelques sifflets de carottes préalablement cuits à la vapeur, les tiges des oignons émincées ajoutées en fin de cuisson... Voilà de quoi pousser chansonnette, andouillette, crépinette, sans imposer l'asphyxie à autrui par ostentation crudivoriste promotionnelle irréfléchie... Non mais !

Avec une pomme vapeur et quelques tronçons de rhubarbe poêlés juste adoucis d'un trait de miel et dynamisés d'un peu de fleur de sel, voilà de quoi réinventer la triste échéance alimentaire belgissime de nos petites années.


À vous de goûter !