mardi, décembre 10

[Ce soir...] Civet de biche au Cahors et aux légumes racines



Et nous revoilà au fondamental, au cœur du noyau de l'essentiel substantiel. Une planète dans une marmite, un éden gourmand en cocotte. Peu d'exogène, pas d'accessoire, une seule louche pour le service ; rien qui traumatise, sinon dans le bon sens.

Si je ne cautionne pas les pan-pan excessifs des sous-bois (surpeuplés pour mieux canarder), je ne peux cacher un certain attrait pour ces chairs foncées sauvages que l'on appelle noblement « venaison ». Ainsi, si les petits gibiers, poêlés ou rôtis, ont leur charme, je défie quiconque de résister à ces daubes, fricassées et civets de plus gros spécimens, que l'on mitonne sur plusieurs heures avec respect, application, affection, concentration... et plaisir. 

La bébête est coriace, et c'est là son seul gros point faible ; qui cesse d'en être un si l'on connait l'astuce élémentaire pour l'éliminer : une marinade qui dégomme ; le genre de liquide que l'on bombarde de saveurs en devenir. Carottes, oignons, ail, laurier, thym, sauge, poivre en grain, baies de genévrier... (Mais pas de sel.) Tout ça ne pourra que contribuer à la bonne gestation giboyeuse mise en œuvre dans une certaine quantité (comptons une bouteille pour un kilo de viande) d'un bon vin rouge (un Cahors notable ?). Vingt-quatre heures d'attente (car ceci ne se fast-foode pas à la sauvette...) au frais, une heure et demi de remise à température ambiante, et on peut y aller.

C'est l'instant des gestes, basiques mais essentiels : quelques découpes de légumes racines (panais, rutabagas, céleri rave...) en cubes de taille moyenne, le temps que la viande remonte lentement en température. Au bon moment, les morceaux (de civet de biche, par exemple) seront ôtés de leur marinade et de tout élément constitutif de celle-ci avant d'être déposés dans une cocotte en fonte à bonne température où les attendra une matière grasse (moitié Mycryo, moitié graisse d'oie, pour ma part) bien chaude. Sans trop les y laisser, les morceaux seront marqués sur toutes les faces puis mis de côté. Aussitôt, les légumes racines rejoindront la cocotte afin d'en réaliser une précuisson de surface ; brassons et re-brassons l'ensemble, ajoutons la viande, les éléments solides de la marinade, du sel, une pluie de farine tamisée, mélangeons le tout et puis ajoutons le liquide de la fameuse marinade avec éventuellement un peu d'eau, si la quantité ne semble pas suffisante (les morceaux de viande doivent être immergés ou presque). 

Ultime instant de patience : une cuisson lente à feu doux. Une cocotte en fonte qui se respecte fera le reste grâce à une conservation et à un habile recyclage de l'humidité de l'ensemble. À l'heure dite, on sert sans attendre, avec du persil plat ciselé et quelques cornes de gatte pour ramasser la sauce. On est là face à quelque chose de costaud, de parfumé, d'addictif ; le genre de plat que l'on s'octroie un dimanche où l'on peut se laisser le temps de l'oisiveté digestive et des sagesses eupeptiques.

À vous de goûter !

mercredi, décembre 4

[plat de Résistance] L'envie en rose

« Vieux sépia bourbon cherche beau rose poupon. »

On a déjà vu plus sain comme petite annonce. Pourtant, c'est une image qui peut venir assez rapidement à l'esprit lors de copieuses séances de téléphagie crépusculaire. Voix mielleuse qui a vécu, musique d'une autre époque et autres effets lourdingues engraissant la liasse d'images d'Épinal d'usage ; on tient l'archétype de la publicité nostalgique, celle qui happe tout : ménagère de plus de cinquante ans et toute la clique.

À cet égard, question existentielle : quid des émoluments de ces acteurs prêtant leur verbe à de tels numéros de cirque ? Ou plutôt : quelle carotte peut bien amener des individus d'un certain âge à s'auto-proclamer chantres débonnaires de la fausse véritable tradition et à vanter les mérites de charcuteries nitritées avec maîtrise ?

Il est vrai cependant que si l'on tient compte de la date de naissance de ces birbes loquaces (à qui l'on donnerait, au moins, le bon Dieu sans réflexion), probablement expulsés à l'aube des années 1950, tout en situant les premiers sévissements chimiques alimentaires de masse dès 1970, on peut admettre que ces individus ont assez rapidement eu accès à ces denrées du troisième type et que cette consommation du tout lisse et tout pareil a fait partie de leur « jeune temps ». Légitimes, donc, seraient-il, lorsqu'ils prétendent retrouver des « saveurs d'antan » dans les multibombardés comestibles sous cellophane d'aujourd'hui.

Plus de trace, plus aucune miette du temps des quintessences, ni des matières premières en évidence. Pour un témoignage plus ou moins authentique, il faut remonter, loin, bien loin, début XXe, déterrer un poilu... Mais là encore, on aurait des misères. Il nous dirait ses déboires, sa petite santé mise à mal par cette avalanche de conserves qui lui avaient filé le scorbut fatal... Il pourrait être capable de vanter notre temps. Autant arrêter là.

Quelle action face à ces falsifrelateurs d'in(te)stin(ct)s ? Le papier glacé et le tout-au-cathodique ont eu le mérite de nous affuter les globes oculaires. Promo détectée, produit acheté, et kling le tiroir-caisse. Geste moderne devenu axiome ; rien de grave, vu qu'on n'en meurt pas. Des décennies d'ingestion neutre : du lisse, du mou, du moyen, du normal, du similaire... Ouais, mais c'était en promo !

Dégourdissons-nous donc les atrophies. Les goûts, les couleurs, les saveurs, les odeurs, les textures... Tout ça, c'est biaisé sur toute la ligne. Les sensations ? Au placard depuis toujours. Goût, toucher, odorat ? Connais pas. Tout ce qui sonne un tant soit peu primaire est banni, refoulé, inhibé, car révélateur d'un stade antérieur de notre évolution. C'est bien notre marotte, ça, l'évolution ; un prétexte à l'oubli des bases, une intelligence du déni. D'individus conscients du changement nécessaire du bol alimentaire, nous nous muons suiveurs, gloutons de panure ; on suit, on suit, et crac, on se rend compte, tard très tard, et puis on conscientise et on change tout. En somme, on rattrape le vice humain et ses éternelles longueurs d'avance.

Quant au jambon rose bonbon et autres tranches alignées en barquette sur-vantées, on en est encore aux balbutiements. Au pays des palais dociles et des papilles en berne, les chimères et les marketeurs gardent le fouet. Car qui d'entre nous serait prêt, aujourd'hui, à préférer le gris viande inerte au rose Porcinet ? Je vous le demande ? Biaisés, vous dis-je ! Il serait peut-être temps de prendre les armes que sont nos bouches, dents, narines, doigts et bon sens, afin de se rendre compte, une bonne fois pour toute, que la vérité ne sort pas indiscutablement des images de l'écran.

Soit dit en le pensant.

À vous de goûter !