mercredi, novembre 19

[Ce soir...] Foie gras de canard mi-cuit maison




Ce soir, au moins, n'abordons pas le sort inéluctable de nos bovidés préalablement électrocutés pour une mort plus douce, de nos grenouilles qui n'ont plus pied, de nos œufs à la coq dont leurs infortunés camarades fécondés, outre l'étape funeste de l'éclosion, ont vu leurs habitants provisoires, tout pimpants de nouveauté, aussitôt épointés ou broyés sans ménagement.

Non, ce soir, pas de discours moralisateur, ça n'est pas le genre de la maison. Restons calme, juste et gastronomiquement désinvolte. Cela faisait belle luette que la plume de votre humble serviteur (tout de couverts armé et d'appétit transi) tremblotait, au gré des fumets pluriels, à l'idée saugrenue de reprendre du (quatre, cinq, six ?) service(s).

Nous voilà arrivés au bout de l'automne et au bord des fêtes, soit pile au moment où nos enseignes commerciales tutélaires se donnent pour mission de nous abreuver de cadeaux impersonnels et quasi oubliés en ressortant, tout sourire dépoussiéré et guirlande la première, palettes et cartons de coffrets, intégrales et éditions spéciales, lesquels feront à coup sûr le bonheur de marraine Josette, qui, ô miracle, n'aurait jamais (hélas, non, jamais...) espéré recevoir l'intégrale ultime des opérettes de Tino Rossi, huitième édition, spéciale, limitée, numérotée, entourloup...

Mais balayons d'une paluche magistrale les kilos de saumon fumé, pour la confection desquels les usines sont, à l'heure qu'il est, vraisemblablement en train de décaper les murs des saloirs à grand coup de jet haute pression et d'affuter les lames de leurs trancheuses calibrées aux allures d'insectes mutants. Nous gagnerons uniquement la civilisation commerciale afin de glaner quelques produits bruts : un beau foie gras de canard cru (de préférence d'origine certifiée, avec, pourquoi pas, un petit Label Rouge), du cognac, du sel et du poivre.

Tout le temps théoriquement consacré au slalom entre les stands Promotion Spéciale (fromage frais Bourbide saveur Vive-le-vent, toasts Mous-de-la-mie en forme de renne à poils longs...) et les caddies propulsés aussi lourds (voire aussi chers) que des blindés légers sera mis à profit pour une préparation certes chronophage, mais difficilement ratable.

Rien de fondamentalement précis pour un produit décrit comme noble par nombre d'entre nous : une heure de trempette dans un mélange moitié eau moitié lait pour faire dégorger le foie, une heure pour chambrer et ramollir quelque peu les chairs, quelques dizaines de minutes à ôter le plus minutieusement possible veines et veinules, une quarantaine de minutes (pour environ 600 grammes) de cuisson au bain-marie à 120°, un refroidissement dans un bain d'eau froide et puis une mise au frais pendant deux jours. Ceci sans oublier de poivrer, de saler et d'arroser d'un trait de cognac les lobes du foie avant de le tasser dans la terrine et de le placer au four ; ni de placer des poids (pas trop lourds !) sur la feuille d'aluminium (placée par-dessus la terrine pour une cuisson à l'étouffée) surmonté d'un morceau de carton rigide de la taille de la terrine, afin que le produit fini bénéficie d'une allure bien homogène.

Avant de nous quitter, faisons les comptes : une trentaine d'euros le foie gras cru de 600 grammes + un prix dérisoire pour un demi verre de cognac, du sel (6 grammes par 500 grammes de foie) et quelques tours de moulin... Si l'on compare ce montant au prix moyen du foie gras de canard mi-cuit de qualité du commerce (entre 90 et 110 euros du kilo), beaucoup de sensations nous animent, hormis celle de nous être fait plumer...

À vous de goûter !

mardi, octobre 28

[Sortie] Durbuy O



Nous venions de quitter la ville, fourbus et barbouillifiés par une pluie battante, des marrons dégringolant sans retenue ni bogues et des crêpes géantes mal placées glanées au détour d'une fête de saison incongrue.

Aussi, nous tournions le dos aux vestiges et amoncèlements de roches pour qui notre mini baguenaude d'une heure et demi ne fut pas plus marquante que le rikiki titillement d'une demi-fiante modeste d'un ptérosaure étourdi d'une autre époque. Un anticlinal proscrivant, de par sa majesté, tout repos mécanique de nos deux fois deux vigies naïves et ébahies. 

Cap sur... pas très loin. Quelques tours de pneus, et nous voilà perchés à bon port. Le bâtiment en impose, mais il ne sera pas le seul acteur à pouvoir se targuer de nous avoir mis babas de grandeur.

Nous pénétrons tôt, nous pénétrons mieux... (Non, mais, je vous en prie !...) ; l'accès, de fait, est plus aisé à l'heure des vieux... (M'enfin !)

Accueil franc et sincère, escorte aimable jusqu'à notre lieu de gourmandise assise ; sourire aux mises en bouche. Resto Days : un menu spécial allait nous priver de l'embarras du choix. Bien nichés au cœur d'une atmosphère épurée, claire et nette, bien dans l'air du temps, nous recevons tour à tour : délicatissime œuf 65° et son lardo di colonnata de juteux amant, magret de canard sublimé et son accompagnement imparable mais sans risque (gentillette déclinaison de légumes du moment) et assiette tout chocolat, dont même une microcuscule framboisette fébrile d'arrière-saison n'est même pas venue en chatouiller l'intitulé.

Droit dans le mille, en somme. Pas d'incartade, de chemin de traverse, de hors piste. De l'excellence sans décoiffade. Même les très goûteux mini-croques ardennais et mousses aux aromates ponctuées de tartare de saumon ultrafrais n'ont pas eu la fougue chafouine nécessaire à la voltige de ma mèche très virtuelle pourtant moins gominée que jamais.

Mais maîtrise tranquille ne signifie pas déception, attention ! Mon monde pour un jus rudimentaire dont les sucs me mettront à terre ; ma haine pour les espumas trop fiers et les molles vanités moléculaires.

Si infâmie il y eut, elle ne dut en aucun cas être imputée ni à l'équipe en coulisse ni au personnel de salle. Soyons honnête et flegmatique : en dépit de son titre, le chef n'est absolument pas responsable des grappes d'abjections acoustiques, dégobillées entre la foire et le ravage, aux quatre coins du lieu devenu troquet limbourgeois pour l'occasion, garnis de préretraités bouffis de deniers, d'orgueil, de manque de savoir-vivre et du reste.

Non, rien d'autre que ce défilé d'intrépides quasi-en-short à la chaîne n'aurait pu mieux ternir ce très agréable repas en tête-à-tête par une tranquille soirée d'automne.

mercredi, août 20

[Ce soir...] Le chou rouge (oui, celui-là)



Ah te voilà enfin !... Toi, qui t'étais perdu loin des nappes, des godets, des fourchettes ; toi, qui par lâcheté ou lassitude, t'étais enfermé dans un régime sans graisse ni verbe. 

Je te vois au loin, en provenance des nouilles grises, tu accours, éclopé, amaigri, famélique ! Le désespoir t'a arrimé trop longtemps à la barquette de plastique, au sachet calibré, au fricassage de manchot cocalisé. 

Je te dis « Re-bienvenue », mais freine ! Freine ! La fonte brûlante, ça pardonne pas ! Prends une chaise et mets tes velléités de boyaux en veilleuse.

Voici un chou. Oui du chou en août ! Oh rien de sorcier ; rien qui puisse germer d'une chimie obscure. Un beurre de terroir pour faire sauter les lambeaux du légume et les tranches d'un gros oignon, quelques épices et herbes pour le sublimer dès que ça commence à fondre : muscade, cannelle, thym, poivre, clou de girofle. 

Tu me regardes avec insistance. Oui, j'ouvre un bocal ; et oui, j'en verse deux cuillères... Mêle-toi donc ! Compact, sombre, visqueux... On est loin de la pomme qu'on ajoute en toute routine, parce qu'il faut ajouter une pomme quand on prépare un chou rouge, tout comme il faut mettre un sucre dans la sauce bolognaise... Soit fadaises et fariboles en festival. Oui, de la confiture, oui, de la mûre ; ça pourrait être de la groseille aussi, pour autant que ça soit maison et que ça donne à l'ensemble une onctuosité suave toute particulière. Une botte secrète dans un gant de velours.

Mais je mets fin à ton supplice, toi, que mes métaphores rendent faible, toi, que ma désinvolture énerve, car j'ai bien conscience que mes tendances anachroniques t'harassent (pardonnez la liaison fautive, grossièreté oblige).

Cette marmite, tu la poseras sur le feu, longtemps, très longtemps... Que ta faim se tienne ! Patience est mère de vertu... Et d'une roulade de bœuf à la sauce au vin rouge et aux champignons. Mais ça, c'est une autre histoire.

À vous de goûter !


dimanche, mai 25

[Sortie] La Fleur de Thym



Certains soirs ont tout de l'évasion, de l'exil loin du commun, à mille lieues des humeurs et rumeurs gristounettes. Éloignés, mais pas si lointains ; dépaysés, mais pas déphasés... Certains « hors du temps » font royalement fi du kilométrage. C'est au cœur de l'Ardenne belge que nous fîmes halte un soir, au beau milieu d'un long week-end au vert.

Ici, on joue de poésie, d'audace et de maîtrise, à la fois : un décor mat et rectiligne moderne intègre des lustres de style ancien, ainsi que quelques pièces beaucoup plus locales, à l'image de quelques vrais faux tableaux de chasse vraisemblablement faits de bois laqué blanc. La salle est grande, très grande même, mais il y règne néanmoins cette impression de chaleur véritable, que l'on associerait davantage à des confinements cosy usuels de petits établissements feutrés pour amoureux transis.
 
Le service est à l'image du lieu :  une certaine élégance vient parfaire une décontraction agréable de bon aloi. Un smart sympathique et amène vous invite au bien-être. De commun accord, nous décidâmes en binôme d'opter pour le menu « surprise », lequel allait nous permettre (à ma compagne à la fourchette comme à la ville, comme à moi-même) de découvrir toute la fantaisie créatrice du jeune chef, David Heine.

Huit rounds de délices pour un knock-out orgasmique : deux mises en bouche explosives, trois entrées épatantes, un plat succulent, un dessert désinvoltement prodigieux et des mignardises ubergourmandes. 





Certains événements historiques font date. Or, de ce 2 mai 2014, nous garderons notamment le souvenir d'un tartare de bœuf et de crabe des neiges à couper le souffle, le sifflet et tout le reste ; de même, nous nous rappellerons le succulent ris de veau poêlé tendre et savoureux à souhait, son petit jus corsé à l'estragon, le tout accompagné d'une asperge blanche iconoclastement panée au jambon ganda (une gambette du petit Jésus en culotte de crin, vous dis-je !) ; nous nous remémorerons également avec beaucoup de solennité ce pigeonneau cuit à la perfection (suprême et cuisse), cette guirlande de couleurs constituée de quelques légumes de saison aux teintes savamment conservées ; nous nous souviendrons avec moult salive de ce parcours inédit et protéiforme de douceur acidulée autour de la fraise et de la rhubarbe... 

Le « plus » incontestable de la Fleur de Thym ? Une fractalité bien inspirée : un tout magnifique, constitué d'associations inédites de compositions audacieuses, à partir de produits d'une ahurissante qualité. 

D'une habileté virtuose.

À vous de goûter !



vendredi, avril 18

[Ce soir...] Salade liégeoise et œuf sur le plat




Il est de ces soirées modelées par les circonstances, tellement façonnées par le vécu du jour et son crépuscule qu'une tentation facile et fébrile conduirait d'aucun à la hâte gastronomique, à l'empressement culinaire déplorable qui, à défaut de survoler les papilles, les brûlerait fritu-militari.

Or, il est aussi de ces petits abandons régressifs que l'on peut s'offrir sans douleur, sans péril majeur des organes, digestifs s'entend. La pomme de terre épluchée, découpée prend son temps dans un volume d'eau raisonnable, les haricots verts se hâtent un peu plus dans un bain distinct similaire. La seule pointe d'activité vive de ce laisser-faire n'est pas folichonne pour un sou : une poêle antiadhésive, quelques bons lardons de pays qui ne se liquéfient pas minablement à la cuisson, une échalote, une gousse d'ail, du persil, un trait de vinaigre blanc ; un agrément de bon aloi qui viendra ponctuer le binôme de base une fois celui-ci arrivé à textures idéales : friable pour le tubercule, tendre pour la cosse.

Il est une immixtion consentie et attendue : celle de la pomme de terre farineuse devenue purée qui s'immisce parmi les segments entrecroisés d'un vert vif ; un œuf cru rapidement mêlé à l'ensemble permettra davantage de cohésion gourmande. Les lardons et autres condiments poêlés se trouveront alors emprisonnés tous sucs confondus dans cet enchevêtrement modeste et fondamental.

Enfin, il est un point final, une couronne : un autre œuf, sur le plat celui-ci, que l'on ajoute en bout de course, par-dessus l'ensemble, comme pour asseoir une satisfaction à venir, une délectation qui n'attend plus. 

Et d'un coup de fourchette, on sectionne le solaire culminant, on laisse se répandre le plaisir, et on succombe, sans trop attendre.

À vous de goûter !

samedi, mars 15

[Ce soir...] Crème de haricots de Soissons à l'échalote, burger croustillant de queue de veau



Et au détour d'un rayon, vous découvrez l'inattendu, l'insolite... Par-delà poivrons éculés, carottes surusitées, bettes usées jusqu'à la carde, vous voyez cette petite barquette pas bien redoutable en soi, mais dont le contenu pourrait laisser pantois.

Drôles de choses que ces fèves géantes et rebondies, parfaitement blanches et relativement onéreuses (comptez une dizaine d'euros le kilo, soit cinq euros pour ladite barquette de 500 grammes). Par habitude, le haricot traditionnel vendu sec en déroutera plus d'un de par les longs processus (trempage et cuisson parfois double) nécessaires à l'obtention d'une graine fondante et goûteuse à souhait.

Ici, la taille (tout de même trois à quatre centimètres de hauteur pour une fève) ne devra pas vous effrayer ; vous vous trouvez devant un produit frais, ce qui implique l'inutilité d'un trempage et une cuisson « normale » pour des légumes qui restent néanmoins des durs à cuire (une petite heure à feu moyen ne sera pas du luxe). Par ailleurs, épices et artifices excessifs pourront sagement rester au vestiaire : si vous aimez le goût subtil et réconfortant du haricot blanc classique, il y a de grandes chances pour que vous fondiez à votre tour. Aussi, de l'échalote hachée sautée dans une matière grasse de votre choix sera l'allié discret idéal de la noble légumineuse. Sautés quelques instants avec ce condiment parfumé, les Soissons n'attendront plus que de l'eau et du sel pour commencer à se déployer.

Pendant ce temps, nous aurons pris soin de lancer la préparation d'un bouillon corsé composé d'une carotte coupée en deux, d'un piment d’Espelette coupé en deux également (ne surtout pas ôter les graines qui recèlent tout le potentiel piquant et aromatique du piment), d'une feuille de laurier, d'une branche de thym, d'une branche de romarin, de gros sel et, surtout, de quelques tronçons de queue de veau bien fraîche. 

En grande théorie (et selon la taille des morceaux de queue), la petite bombe aromatique susmentionnée aura brandi toute sa succulence environ un bon quart d'heure avant que les Soissons n'arrivent à juste tendreté. Aucune précipitation ne sera donc de mise pour constituer un « burger » savoureux et inédit qui devrait rendre grâce à son support riche et crémeux, sans toutefois lui faire d'ombre. De nouveau, rien de réellement sino-sorcier : la queue de veau cuite au bouillon se décortique plus ou moins comme un jarret de veau classique de pot-au-feu : on contourne l'os, on ôte l'excès de gras et on réserve les fragments de viande tendre à souhait. 

Grâce à ce mode de cuisson très humide, aucun ajout de liant ne sera nécessaire : dans un emporte-pièce circulaire, il suffira de tasser la viande afin d'apporter une première cohésion à l'ensemble. Ensuite, sans ôter le cercle, il s'agira de cristalliser ce petit monde. Pour cette étape, je vous laisse le choix des armes, mais un caramel maison constitué d'une matière grasse (beurre, mycryo) et de sirop d'érable (comptons 1/3 matière grasse - 2/3 sirop) ajoutera quelques notes de contraste à ce tableau savoureusement débridé. On ajoutera le sirop d'érable à la matière grasse fondue avant de laisser réduire l'ensemble. Seul geste délicat et périlleux de la recette : déposer le burger encore cerclé dans la poêle contenant le caramel chaud sans que la viande ne mette prématurément les voiles...

Au bout du compte, vous devriez obtenir une croute ambrée et brillante à la base du burger ; libre à vous d'exploiter un peu plus ce caramel parfumé en en ajoutant quelques gouttes par-dessus la viande ; au point où nous en sommes, tout est permis.

Quelques coups de mixeur-plongeur plus loin, vous obtenez votre base costaude et addictive, par-dessus laquelle vous n'aurez qu'à déposer le montage tendre et croustillant à la fois. 

Ce plat est un jeu. Ce plat est un délire. Ce plat est un oubli. Oubli des règles. Oubli des codes. Oubli des conventions. Oubli de soi.

Partagez, si vous le pouvez.

À vous de goûter !


samedi, mars 1

[Je tente donc je mange] Bonbons de navet boule d'or au caramel d'agave, fleur de sel et piment d'Espelette




Et tout à coup, par habitude, par conformisme, par fainéantise, par mégarde (par...oxystique), il vous vient l'idée du facile, du confortable, l'idée molle, l'idée de trop. « Qu'importe la saison pour autant que l'on se repaisse ! » Vous vous rassurez... Vos mains à peine moites sur la barre plastifiée du caddy (qui en a vu bien d'autres...) ne trahissent aucune pression, pas l'ombre d'une once infime de nervosité. Et vous plongez, paumes les premières, au cœur de l'étal semi-réfrégiré pour en extraire l'une de ces innombrables barquettes rondes, carrées, rectangulaires ou (hé oui...) triangulaires. Été comme hiver, vous les aurez : rondes, infiniment identiques, trop jolies pour être honnêtes, rouges, jaunes, vertes, noires, peut-être bientôt bleues, si ça vous chante...

Le soir venu, vous sourirez, vous afficherez le regard satisfait et fier de l'hôte qui choie et gâte ses invités : déposées au centre de la table, entre un verre rempli de gressins blanchâtres enturbannés d'une cochonaille suspecte et un bol d'arachides grassouillettes trône votre butin, votre fierté prête à croquer : une petite douzaine de tomates cerises rouge cochenille qui n'attendent qu'à éclater entre deux bataillons de canines insouciantes. Mais vous n'évoquerez pas l'origine espagnole de vos petites vedettes ; vous n'en aborderez même pas les conditions douteuses de mûrissement. Et vous aurez raison : il est des sujets révoltants qu'il vaut parfois mieux éviter.

Or, il y aurait eu une alternative à l'évidence, nichée pas très loin, à deux pas de ces aguichantes artificialités consumérissimes sphériques... Oui, là, entre les carottes et les panais, pas loin des courges ! Chassons un peu ce préjugé qui voudrait que l'on ne consomme racines et tubercules qu'en potée ou en purée. Prenons, par exemple, ces splendides navets boule d'or. Petits, ronds, peu onéreux... Sans compter l'appétissante couleur orangée de leur chair, laquelle n'a rien à envier à celle des simulacres végétaux susmentionnés. 

Une cuisson (surveillée) à la vapeur pendant une dizaine de minutes permettra d'obtenir une tendreté suffisante ainsi qu'une mâche intéressante et peu commune qui fera s'arrêter le dégustateur/gobeur un instant, face à cette nouvelle expérience de bouche. Mais je vous vois venir : non, je ne vous propose pas un énième morne constituant morose d'une fébrile trempette de régime. Voilà l'affaire : un caramel ; un caramel peu ordinaire puisqu'il est constitué à 100 % de sirop d'agave. Il s'agira simplement de faire réduire le doux et visqueux liquide dans une poêle antiadhésive jusqu'à l'obtention d'une belle coloration blonde à brune. Il ne restera plus alors qu'à enrober les navets cuits et à les déposer sur une assiette froide. Quelques secondes plus tard, une pincée de fleur de sel et une autre de piment d'Espelette viendront apporter la touche finale à une mise en bouche fine, saine, fraîche, végétarienne, de saison, goûteuse, relevée, peu chère, originale et colorée... 

En y réfléchissant, il pourrait également très bien s'agir là d'un sympathique accompagnement pour un repas costaud et bien viandard de type carré d'agneau et purée à l'ail/polenta crémeuse. Pour le reste, c'est...

À vous de goûter !


jeudi, février 13

[Sortie] Le Pastissou





Mardi soir, temps de canard, froid de chien. Et on s'écroule sur sa chaise. Repos bien mérité, séant tranquillisé. Ici, on y est à deux : entre frères, par exemple. Lien familial fort chez lien familial fort. Car, coïncidence, on est aussi chez des frères. Des frères de là-bas, bien plus au Sud. Là où les cigales font la causette aux rougets (barbet, pas de Lisle ; mugissent pas dans la même campagne, morbleu)


Ici, donc, on entend Brassens (ambiance !) ou Cabrel, parfois. No dînette, no courbette : l'un des frères en salle, l'autre là-haut, en cuisine ; rien de plus rien de moins. C'est taiseux comme tout, mais on sent que ça peut causer comme rien. La carte est une ode épicurienne : tripoux, magret de canard, ris de veau...


Et puis voilà que nous débarque le gros des troupes, l'artillerie, le petit Jésus en boyau de porc, si vous me passez l'excrétion... Deux cassoles en terre cuite que l'on sert à deux mains. Poum ! Sur la toile cirée à carreaux rouges et blancs ! C'est du lourd, du mémorable en devenir. On y trouve les particules élémentaires d'un bonheur réel, physiologique : haricots blancs tendres cuits dans un jus aromatique et riche, le tout ponctué de quelques joyeusetés porcines croustillantes, tendres, fondantes ; voire d'un morceau de jarret d'agneau qui s'effiloche ou d'un boudin noir landais inédit, si le cœur et les artères vous en disent.


On en ressort vaincu tout sourire, bousillé de bien-être, terrassé de bon sens. On n'a pas succombé à l'industriel, on n'a pas vécu la très haute cuisine, on en a vécu une autre, pile à bonne hauteur. La cuisine qu'il fallait.


[Où ?] : Mons, 14 rue des Fripiers 
[Combien ?] Entre 15 et 25 euros pour un plat qui rassasie (avec possibilités d'entrées et de desserts)
[Pourquoi ?] La saveur, l'authenticité des plats et du lieu, les différents cassoulets emblématiques
[Quand ?] Autant que faire se peut, crénom !


À vous de goûter !

jeudi, février 6

[Ce soir...] Currywurst !




Il y a les madeleines de Proust qu'on subit : la crêpe cassonade quotidienne qui finit par écœurer juste après l'école mais qui nous revient après coup en mémoire avec pas mal de tendresse ; le couscous mal fichu du vendredi soir, tout juste bricolé au sortir de deux boîtes cylindriques enchâssées, desquelles étaient extraites des substances aux odeurs, textures et couleurs toujours pareilles mais qui nous évoquaient la fin de l'école, le début du week-end, une trêve, une routine bien tranquille.

Et puis il y a les autres, celles qu'on bourlingue, celles qui se dénichent par-ci par-là, au gré de pérégrinations plus ou moins lointaines ou d'une simple errance dans une ville étrangère. Dans mon palmarès, à une place bien confortable, figure ce que Monsieur Quidam le bien pensant appellerait communément une « crasse » en raison de la teneur en graisse et en sucre dudit méfait. « Étonnant, étonnant ! », s'écrirait-il tout en se gaussant de mon habituelle apologie rasoir à la nourriture équilibrée, avec laquelle je vous rebats les oreilles, les rétines et tout le reste... 

On dira que c'était une tentation du moment, un féroce appétit de sérotonine, un instant de perdition consenti. Le tout pouvant être multiplié par dix, au moins ; car j'y suis revenu... Currywurst-addict... C'est une dépendance toute germanique dont on ne réchappe pas. Elle peut être bien tapie, dissimulée pendant mois et années, et puis CROC, on replonge...

Or, quel meilleur moyen de lutter contre des démons internes que d'y succomber de temps à autre afin d'expulser le trop plein ? Quelle chance ! Les constituants sont tout ce qu'il a de plus légal et de plus courant. Les contrebandiers avancent à découvert : vitrines visibles et caisses en proue. Carrefour, Delhaize, Colruyt, boucher du coin, marché local... Nul besoin d'un Rewe ou d'un Edeka d'outre-Welkenraedt pour glaner les germes du Saint-Graal : ketchup, moutarde, oignon, vinaigre blanc, jus de pomme, curry, saucisse pur porc... Pas de quoi fouetter la mer à boire.

En cuisine non plus, on ne risque pas l'entorse synaptique : sur l'oignon émincé et sauté dans un peu de matière grasse, on verse un mélange froid constitué de moutarde (1 cuillère à café par saucisse), de ketchup (quelques bons traits), d'une cuillère à soupe de vinaigre et de la même quantité de jus de pomme sur les oignons translucides. Le tout sera chauffé à feu très doux pendant quelques minutes. Dans une poêle bien chaude, il s'agit simplement de faire griller la saucisse à point avant de l'émincer en gros tronçons. La suite, vous l'aurez deviné, est le fruit d'un agencement graphique très précis... On dépose, on badigeonne et - cerise sur le gâteau - on saupoudre de ce mélange d'épices jaunâtre incongrument exotique qui confère à l'ensemble son caractère unique et patrimonial.

Alors, certes, on est bien loin des marchés de Noël aux loupiotes chaleureuses et aux effluves de cannelle et de Schmalz fondu... Aussi, une saucisse dite « de campagne » ne sera jamais une Bratwurst et personne ici ne vous posera la question très pavlovienne « Mit Pommes ? » (« Avec frites ? » pour les germanoprofanes). Il reste cependant un gros avantage dans la tentative plus ou moins vaine de reconstitution du gustatif qui fait date : le choix. Car, à moins de fristouiller pour une tablée sans fin, il est assez peu probable que des raisons budgétaires impératives nous empêchent de débourser quelques cents supplémentaires et d'opter pour un ketchup de qualité (Heinz me semble indétrônable), un jus de pomme régional qui se démarque, un curry sans trop d'additifs et, pourquoi pas, issu du commerce équitable et un oignon cultivé par une ferme locale ?

Néanmoins, je ne vous conseillerais que trop de ne pas exécuter cette recette dans un premier temps afin de vivre l'instant de grâce avant sa réminiscence, selon la logique des choses. Et voilà la quintessence : servie sur une petite barquette en papier déjà tout imbibée de sauce, que l'on pose au creux de la paume faute de place assise ; une seule micro-fourchette en plastique coloré pour picorer laborieusement chaque rondelle de saucisse en tentant bien vainement de ne pas se salir les doigts ou les gants que l'on finit par ôter malgré le vent, la neige et le froid ; on les enlève car on a subitement chaud, on se sent ragaillardi, reconstitué. Réconforté par une futilité mémorable.

À vous de goûter !

mercredi, janvier 29

[Ce soir...] Paupiettes de chou vert au poulet, vinaigrette tahini-citron


La froid prospère, le noir s'éternise, les virus sévissent et les sens en pâtissent... Nos fosses nasales, imperceptibles en temps normal, nous semblent peser le poids d'un monde terne, gris et morose, un monde duquel l'odorat se serait fait la malle.

Barricadons, clôturons, bastionnons, donc ! Car, même s'il est évident que la logique physiologique l'emportera, il ne coûte rien de s'adonner à un pied-de-nez (déjà bien bouché) envers cette saison « minable » (au sens où elle mine le moral ; je précise).

Aussi, pourquoi ne prévoiriez-vous pas l'un de ces petits moments sociaux où vous pourriez laisser libre cours à votre nature altruiste et généreuse en partageant une sympathique assiette pensée avec le cœur et fignolée de vos miasmes ? Je vous le demande. Naturellement, il vous serait tout aussi permis d'envisager le postulat postillonnant de l'égoïste rétention d'exhalaisons exceptionnelles et personnelles dont vous gardez l'unique secret de fabrication, à votre corps défendant...

Bien, maintenant que nous nous sommes mis en appétit, voici l'objet du crime (de malaise majesté ou de la vôtre, je partage) : une paupiette, dis-je, mais une paupiette qui change, une paupiette un peu exotique et une paupiette saine ! (Pari tenu : placer au minimum cinq fois le mot « paupiette » dans l'article ; eh oui, le titre compte !)

Du saisonnier à la carte : de belles feuilles de chou vert blanchies dans de l'eau bouillante pendant 2-3 minutes (garde donc le cœur pour une soupe, vil pétomane !), une grosse carotte des familles détaillée en brunoise, un oignon émincé, deux filets de poulet et quelques ajouts aromatiques de votre choix : noix de muscade, piment d'Espelette, curcuma... Tout sera bon dans le baluchon. Vous confectionnerez la farce en toute facilité éléctroménagère : une bonne moulinette et les filets de poulet coupés en cubes baisseront bien vite la garde ; y auront été ajoutés au préalable : un œuf entier, quelques sommités de persil frisé, du gros sel et les épices de votre choix. On y intègre enfin carotte et oignon et on est bon ! Il ne reste plus maintenant qu'à refermer les feuilles de chou blanchies autour de ce bel appareil. Technique du portefeuille, messieurs, dames : votre feuille de chou, vous lui roulez la bosse (ou la côte, de son petit nom de cueillette) vers son extrémité distale ; la farce étant humide et amalgamée par l’œuf, vous n'aurez, en principe, aucune difficulté pour refermer les côtés en les pliant et en les enfonçant vers la farce. Vous obtenez des petits pochons rectangulaires ou ovales ? Bien joué ! La farce est ressortie de partout et vous avez déchiré votre feuille de chou ? Pas d'inquiétude : hurlez et/ou pleurez, puis recommencez !

Idéalement vous cuirez ceci dans un panier vapeur ; si vous optez pour une cuisson à l'eau, veillez à ficeler chaque pièce. Pendant que tout ce petit monde se détend au gré des gouttes brûlantes, vous fouetterez deux cuillères à café de tahini (la fameuse pâte de sésame, reine de l'houmous libanais ; herself) avec deux cuillères à soupe d'huile d'olive et un filet de jus de citron ; une goutte de tamari, un pincée de piment de Cayenne, et voilà une vinaigrette qu'elle est bonne. Toute prête à napper nos petits chaussons...

Bon, il me semble que je n'ai rien oublié (et aussi que j'ai épuisé tous les synonymes valables de « paupiette »...) ; je vous en laisse à vos bonnes tambouilles à croquer.

À vous de goûter !

mercredi, janvier 22

[Ce soir...] Oeuf à la coque, mouillettes de céleri rave au piment d'Espelette



Ceci n'est pas un petit-déj.

Cocorico ? Non, pas vraiment. Ceci se mange en milieu de journée, voire bien plus tard... Quand les dindes baissent le goitre, pas loin des poules sur un mur, qui sirotent du bromure. Cocasse (Oups, un de moins pour l'omelette) situation que voilà ! À l'heure où les œufs miroir s'étalent et où les crèmes brûlées tâtent des feux de la rampe, v'là-t'y pas qu'un frileux freluquet viendrait ramener sa coquille ?!

Et comment, mon coco ! Et il vient pas seul, il est armé, plus d'un germe dans la membrane ! Armé jusqu'au bec virtuel : des bâtonnets croustillants à l'extérieur et moelleux à l'intérieur qu'on les dirait sautés à la poêle dans une matière grasse bien chaude, et sur toutes les faces ! Et puis ils sont mouchetés de rouge... Goût relevé sans excès, parfum de soleil : piment d'Espelette, ma poulette !

Bon, frugalité de poussin au placard : on s'en reprendra bien un petit deuxième, juste pour les finir, ces bonnes mouillettes...

À vous de goûter !

dimanche, janvier 19

[Rond de carotte] Salade de chou-rave râpé, rollmops, brunoise d'oignon rouge et mâche



Ceci est un article militant.

Non.

Non à la conserve douteuse au contenu gluant chimiquement colorisé excrété à la chaîne.
Non à la quiche industrielle déjà trop cuite que l'on flanque au four pour la surcuire davantage.
Non à la brique de soupe aux légumes sans légumes très sucrée, bien trop salée.
Non au cheese-burger grassouillet et cartilagineux réduit à cellulite de chagrin par les micro-ondes.
Non au croque-monsieur noirci par négligence dominicale et dont le fromage carbonisé plombe estomac et moral (précisément au moment de la vaisselle ; Kärcher obligatoire).

Non !

Le chou-rave n'a du chou que le nom ; sa forme bulbeuse ne fait pas de lui un navet. Il est frais, juteux, tendre et croquant à la fois, très doux, délicat en termes de saveur et très peu cher. Quelques végétaux de saison en sus (mâche, oignon rouge), un micro-chouïa d'animal (un rollmops émincé), une touche de gras (huile d'olive extra-vierge), du sel et du poivre du moulin... Citronnez-le, si vous voulez. Un gueuleton tranquille : digeste, sain, sans trop de vaisselle et sans cuisson ! 

In green we trust !

Ceci était un article militant.

À vous de goûter !

samedi, janvier 18

[Ce soir...] Filet de bar cuit sur peau, purée de persil tubéreux à l'huile de noisette et petit jus tomaté « rien ne se perd »




Qui n'a pas, un jour ou l'autre, après avoir saliveusement scruté l'assiette du voisin sur laquelle s'étendaient avec assez bien de superbe et de grâce grasse et gracile quelques sections carnées bien lustrées et saucées ; qui n'a donc jamais, dis-je, été déçu de son propre choix délibéré portant sur l'un ou l'autre délicat produit de nos mers ou de nos rivières, pourtant tout aussi prometteur sur papier... Vous voulez des coupables ? Vilipendez donc les vilains accompagnements standard.

La patate vapeur et l'endive étuvée, certes, ça cultive un temps le charme de l'épure, du délicat, du sain ; mais le goût traîne l'arête ; et le gras de l'entrecôte limitrophe de ricaner de plus belle... Alors lançons-nous, car, à moins de choisir le poisson le plus blanc et le plus délicat qui soit, il n'est pas défendu de viser des acolytes plus musclés qui pourront faire d'un plat dit « de santé », un mets gourmandissime avant tout.

Dans le monde merveilleux des légumes racines vit un végétal aux teintes beiges discrètes, à la forme conique très semblable au panais et aux nervures bien marquées de la carotte commune : le persil tubéreux. Cet aliment à la chair ferme et blanche, quoique peu attractif à l’œil, se muera en une base des plus consistantes et des plus parfumées si, après l'avoir épluché, découpé en morceaux de taille moyenne et cuit à la vapeur, de l'huile de l'olive, un trait d'huile de noisette, une larme de vinaigre blanc, du sel et du poivre blanc lui sont ajoutés, avant que l'ensemble puisse être réduit en purée et homogénéisé grâce à la déesse moulinette.

Cette cuisson à la vapeur nous laissera plus que largement le temps de taillader menu notre petite victime à branchies afin d'en lever les filets. Outre le bonheur associé au « do-it-yourself » (tellement en vogue que presque irritant), la véritable plus-value sera résolument matérielle. Comment ? Vous ne comptiez quand même pas jeter cette tête et ces arêtes archibourrées de saveurs en devenir ?! Ces « déchets » (des doubles guillemets seraient presque nécessaires) seront la base même de la saveur la plus prononcée du plat : le sacrosaint jus.

L'opération n'a vraiment rien de redoutable, qui plus est. On découpe le tout grossièrement, on faire suer une garniture à base d'échalote hachée et de carotte émincée, on ajoute les parures du bar, on laisse suer de nouveau, on déglace au tamari (sauce 100 % soja, pour rappel), on ajoute un peu d'eau sans couvrir tout à fait les éléments, on laisse infuser à couvert, on filtre, on fait réduire, quelques larmichettes de coulis de tomate et un trait de crème pour adoucir au besoin, du sel, du poivre noir du moulin, et on obtient un jus bien corsé et parfumé à côté duquel un onglet à l'échalote même balèze ferait pure figuration ridicule.

L'assiette terminée, saucée, pourléchée, il nous vient alors ce sentiment de réconfort, de bien-être et de pitance bien menée que l'on ressent, hélas, bien trop rarement avec ces produits nobles à écailles.

À vous de goûter !


dimanche, janvier 5

[Ce soir...] Coquelet et légumes jaunes, cuisson au tajine

Il y a le dernier jour d'un congé de deux semaines. Vingt-quart heures dans lesquels il faudrait faire entrer tout ce que l'on n'a pas pu/voulu faire au cours des treize jours précédents. Un cours laps de temps finalement, au cours duquel la conscience se livre bataille : demain est maudit plein pot, mais quelques jours de plus, ça ferait trop long... On passerait la journée à se sermonner à s'obliger de profiter, jusqu'au crépuscule où l'on remarquerait avec effroi que cette journée fut sans doute la pire de toutes... On attend, on attend : ouf, enfin la fin/mince, ça recommence...


 




Il y a le dernier jour d'un congé de deux semaines. Le marché matinal habituel où l'on côtoie avec le sourire ses fournisseurs habituels, où l'on repart vainqueur, la glaneuse pleine de produits frais et de qualité. Une matinée que l'on tire en longueur au gré d'une balade tranquille et d'un petit-déjeuner tardif, au moment précis où quelques rayons timides atterrissent non loin du mug et de la théière bien chaude. On passe ensuite une heure ou deux à préparer la suite. Déjà l'odeur terreuse et ferreuse des pommes de terre grenaille et des navets boule d'or s'évade du panier. S'enchaînent coquelet jaune coupé en morceaux et saisi à feu vif, gros lardons fumés grillés, carottes jaunes en rondelles, pruneaux, oignons en quartiers, citronnelle (un bâton fendu), sauge en feuilles entières, ail écrasé, poivre noir...

Il y a le dernier jour d'un congé de deux semaines. Un moment de détente intermédiaire devant un film, un livre en main, une musique appréciée dans les oreilles. Au four, un tajine bien garni qui s'occupe du reste. Prochain plaisir : une dégustation qui prend son temps ; un grand verre de Bordeaux siroté sur plusieurs heures, et une demi-journée plus que réussie...











Il y a le dernier jour d'un congé de deux semaines. Un carré de chocolat ? Une sieste ? Un café ? Je vous laisse la plume...


À vous de goûter !

vendredi, janvier 3

[Rond de carotte] Potage choux de Bruxelles-Bintje et crevettes grises / Purée de betterave rouge à l'huile d'olive, anchois et câpres

C'est bon ? Elles sont passées, ces fêtes ?

La planète semble avoir survécu au cataclysme adipeux et alcoolisé de circonstance ; c'est une chance. La nature est robuste !

Cachez moi ces tourteaux que beaucoup ont maltraité, écartez-moi ces Saint-Jacques par trop caoutchoutées... Et que les espaces (passé un certain niveau, on n'appelle plus ça des cuisines...) équipés dernier cri ne se sentent pas hors de cause : c'est précisément sur ces superficies bardées d'appareils aux mille boutons et de rangements impeccablement nacrés et éléphantesquement élégants que se sont joués les pires crimes et méfaits. Et je n'évoque que la partie émergée de la langouste... Le pire restant ce que l'on ne voit pas, ce que l'on a sciemment oublié et négligé pendant deux bonnes semaines.

Par conséquent, je m'adresse aux délaissés, aux répudiés, aux parias de la société (de consommation), aux oubliés, non pas les oubliés devenus à la mode car boudés pendant tant d'années (si vous me suivez...), mais bien aux aliments dits « ordinaires » (l'affreux adjectif) que l'on écarte vraisemblablement par honte honteuse et/ou par peur de manquer d'un panache de carton-pâte au moins aussi ringard qu'un costume à paillettes pour karaoké.

Et ces choux de Bruxelles ? Et cette betterave rouge ? Vous les gardiez pour en fourrer une galette des rois ? Et ces crevettes grises rescapées ? Oseriez-vous vous rendre compte que vous repoussez l'échéance ? Allez-vous enfin avouer que ces frêles crustacés pétrifiés dans leur carcasse allaient terminer leur baignade post-mortem dans les fins fonds de votre tas d'ordures festives ?

Si l'huile de coude ne vous manque pas en ce début d'année, tandis que vos bras se remettent doucement des ouvertures de douzaines d'huîtres et des levées de vingtaines de coupes bien remplies, il vous restera alors quelques possibilités pour aligner deux ou trois repas sains, savoureux et sans frais.

Des choux de Bruxelles, une bintje, c'est un potage gagnant. À cela, vous ajouterez quelques crevettes grises cuites simplement décortiquées et un petit jus fait des carcasses de ces dernières, d'une lampée de cognac, d'une pincée de paprika et d'un nuage de crème. 



Une betterave cuite à la vapeur, mixée avec une certaine quantité d'huile d'olive jusqu'à parvenir à une consistance bien onctueuse ; quelques anchois émincés, quelques câpres, du poivre blanc à l'envi.




Voilà deux plats de saison sans prétention qui remettront les pendules au milieu du village après cette période d'ingurgitation joyeuse.

À vous de goûter !