jeudi, février 13

[Sortie] Le Pastissou





Mardi soir, temps de canard, froid de chien. Et on s'écroule sur sa chaise. Repos bien mérité, séant tranquillisé. Ici, on y est à deux : entre frères, par exemple. Lien familial fort chez lien familial fort. Car, coïncidence, on est aussi chez des frères. Des frères de là-bas, bien plus au Sud. Là où les cigales font la causette aux rougets (barbet, pas de Lisle ; mugissent pas dans la même campagne, morbleu)


Ici, donc, on entend Brassens (ambiance !) ou Cabrel, parfois. No dînette, no courbette : l'un des frères en salle, l'autre là-haut, en cuisine ; rien de plus rien de moins. C'est taiseux comme tout, mais on sent que ça peut causer comme rien. La carte est une ode épicurienne : tripoux, magret de canard, ris de veau...


Et puis voilà que nous débarque le gros des troupes, l'artillerie, le petit Jésus en boyau de porc, si vous me passez l'excrétion... Deux cassoles en terre cuite que l'on sert à deux mains. Poum ! Sur la toile cirée à carreaux rouges et blancs ! C'est du lourd, du mémorable en devenir. On y trouve les particules élémentaires d'un bonheur réel, physiologique : haricots blancs tendres cuits dans un jus aromatique et riche, le tout ponctué de quelques joyeusetés porcines croustillantes, tendres, fondantes ; voire d'un morceau de jarret d'agneau qui s'effiloche ou d'un boudin noir landais inédit, si le cœur et les artères vous en disent.


On en ressort vaincu tout sourire, bousillé de bien-être, terrassé de bon sens. On n'a pas succombé à l'industriel, on n'a pas vécu la très haute cuisine, on en a vécu une autre, pile à bonne hauteur. La cuisine qu'il fallait.


[Où ?] : Mons, 14 rue des Fripiers 
[Combien ?] Entre 15 et 25 euros pour un plat qui rassasie (avec possibilités d'entrées et de desserts)
[Pourquoi ?] La saveur, l'authenticité des plats et du lieu, les différents cassoulets emblématiques
[Quand ?] Autant que faire se peut, crénom !


À vous de goûter !

jeudi, février 6

[Ce soir...] Currywurst !




Il y a les madeleines de Proust qu'on subit : la crêpe cassonade quotidienne qui finit par écœurer juste après l'école mais qui nous revient après coup en mémoire avec pas mal de tendresse ; le couscous mal fichu du vendredi soir, tout juste bricolé au sortir de deux boîtes cylindriques enchâssées, desquelles étaient extraites des substances aux odeurs, textures et couleurs toujours pareilles mais qui nous évoquaient la fin de l'école, le début du week-end, une trêve, une routine bien tranquille.

Et puis il y a les autres, celles qu'on bourlingue, celles qui se dénichent par-ci par-là, au gré de pérégrinations plus ou moins lointaines ou d'une simple errance dans une ville étrangère. Dans mon palmarès, à une place bien confortable, figure ce que Monsieur Quidam le bien pensant appellerait communément une « crasse » en raison de la teneur en graisse et en sucre dudit méfait. « Étonnant, étonnant ! », s'écrirait-il tout en se gaussant de mon habituelle apologie rasoir à la nourriture équilibrée, avec laquelle je vous rebats les oreilles, les rétines et tout le reste... 

On dira que c'était une tentation du moment, un féroce appétit de sérotonine, un instant de perdition consenti. Le tout pouvant être multiplié par dix, au moins ; car j'y suis revenu... Currywurst-addict... C'est une dépendance toute germanique dont on ne réchappe pas. Elle peut être bien tapie, dissimulée pendant mois et années, et puis CROC, on replonge...

Or, quel meilleur moyen de lutter contre des démons internes que d'y succomber de temps à autre afin d'expulser le trop plein ? Quelle chance ! Les constituants sont tout ce qu'il a de plus légal et de plus courant. Les contrebandiers avancent à découvert : vitrines visibles et caisses en proue. Carrefour, Delhaize, Colruyt, boucher du coin, marché local... Nul besoin d'un Rewe ou d'un Edeka d'outre-Welkenraedt pour glaner les germes du Saint-Graal : ketchup, moutarde, oignon, vinaigre blanc, jus de pomme, curry, saucisse pur porc... Pas de quoi fouetter la mer à boire.

En cuisine non plus, on ne risque pas l'entorse synaptique : sur l'oignon émincé et sauté dans un peu de matière grasse, on verse un mélange froid constitué de moutarde (1 cuillère à café par saucisse), de ketchup (quelques bons traits), d'une cuillère à soupe de vinaigre et de la même quantité de jus de pomme sur les oignons translucides. Le tout sera chauffé à feu très doux pendant quelques minutes. Dans une poêle bien chaude, il s'agit simplement de faire griller la saucisse à point avant de l'émincer en gros tronçons. La suite, vous l'aurez deviné, est le fruit d'un agencement graphique très précis... On dépose, on badigeonne et - cerise sur le gâteau - on saupoudre de ce mélange d'épices jaunâtre incongrument exotique qui confère à l'ensemble son caractère unique et patrimonial.

Alors, certes, on est bien loin des marchés de Noël aux loupiotes chaleureuses et aux effluves de cannelle et de Schmalz fondu... Aussi, une saucisse dite « de campagne » ne sera jamais une Bratwurst et personne ici ne vous posera la question très pavlovienne « Mit Pommes ? » (« Avec frites ? » pour les germanoprofanes). Il reste cependant un gros avantage dans la tentative plus ou moins vaine de reconstitution du gustatif qui fait date : le choix. Car, à moins de fristouiller pour une tablée sans fin, il est assez peu probable que des raisons budgétaires impératives nous empêchent de débourser quelques cents supplémentaires et d'opter pour un ketchup de qualité (Heinz me semble indétrônable), un jus de pomme régional qui se démarque, un curry sans trop d'additifs et, pourquoi pas, issu du commerce équitable et un oignon cultivé par une ferme locale ?

Néanmoins, je ne vous conseillerais que trop de ne pas exécuter cette recette dans un premier temps afin de vivre l'instant de grâce avant sa réminiscence, selon la logique des choses. Et voilà la quintessence : servie sur une petite barquette en papier déjà tout imbibée de sauce, que l'on pose au creux de la paume faute de place assise ; une seule micro-fourchette en plastique coloré pour picorer laborieusement chaque rondelle de saucisse en tentant bien vainement de ne pas se salir les doigts ou les gants que l'on finit par ôter malgré le vent, la neige et le froid ; on les enlève car on a subitement chaud, on se sent ragaillardi, reconstitué. Réconforté par une futilité mémorable.

À vous de goûter !