Il est de ces soirées modelées par les circonstances, tellement façonnées par le vécu du jour et son crépuscule qu'une tentation facile et fébrile conduirait d'aucun à la hâte gastronomique, à l'empressement culinaire déplorable qui, à défaut de survoler les papilles, les brûlerait fritu-militari.
Or, il est aussi de ces petits abandons régressifs que l'on peut s'offrir sans douleur, sans péril majeur des organes, digestifs s'entend. La pomme de terre épluchée, découpée prend son temps dans un volume d'eau raisonnable, les haricots verts se hâtent un peu plus dans un bain distinct similaire. La seule pointe d'activité vive de ce laisser-faire n'est pas folichonne pour un sou : une poêle antiadhésive, quelques bons lardons de pays qui ne se liquéfient pas minablement à la cuisson, une échalote, une gousse d'ail, du persil, un trait de vinaigre blanc ; un agrément de bon aloi qui viendra ponctuer le binôme de base une fois celui-ci arrivé à textures idéales : friable pour le tubercule, tendre pour la cosse.
Il est une immixtion consentie et attendue : celle de la pomme de terre farineuse devenue purée qui s'immisce parmi les segments entrecroisés d'un vert vif ; un œuf cru rapidement mêlé à l'ensemble permettra davantage de cohésion gourmande. Les lardons et autres condiments poêlés se trouveront alors emprisonnés tous sucs confondus dans cet enchevêtrement modeste et fondamental.
Enfin, il est un point final, une couronne : un autre œuf, sur le plat celui-ci, que l'on ajoute en bout de course, par-dessus l'ensemble, comme pour asseoir une satisfaction à venir, une délectation qui n'attend plus.
Et d'un coup de fourchette, on sectionne le solaire culminant, on laisse se répandre le plaisir, et on succombe, sans trop attendre.
À vous de goûter !