Tristesse. Voilà le seul mot qui me vient à l'esprit quand je songe à cette pauvre volaille tellement consommée et tellement gâchée à la fois... La voilà tantôt confinée dans un plat minuscule qui ne lui laisse qu'à peine l'envergure d'un timide écartement crural bilatéral, tantôt perdue et insignifiante au milieu d'un récipient que même des cantines scolaires ne parviennent à remplir qu'au quart...
En outre (et ça m'outre !), comme un méfait s'avance rarement seul, les pauvres gallinacées ainsi confinées/égarées n'ont que très rarement le droit à la dernière volonté d'un assaisonnement même superficiel et classique. Non ! Rien ! Pas une feuille de sauge, ni quelques grains de poivre noir pour épauler la pauvre nature morte jusqu'au le rôtissage final.
Alors, disons sus au bafouillage de chair noble ! Disons halte à la fadeur ! Et que vos cuiseurs vapeur ultra-turbo-machin, tofu à lier et emporte-pièces kitshiformes restent bien dans vos placards... Je ne vous parle pas réinvention, graphisme, géométrie, pirouettes... j'invoque les saveurs élémentaires, les associations millénaires, rien de rien de révolutionnaire, tant s'en faut !
Un beau poulet ardennais, quelques cornes de gatte juste grattées, un gros panais et une grosse carotte coupés en rondelles (sans les éplucher ; toutes les bonnes choses se nichent dans la peau), deux belles tranches de lard fumé traditionnel coupées en gros dés, un oignon rouge en rondelles, un bol de petits pois préalablement blanchis ajoutés dix minutes avant la fin de la cuisson, quelques branches de romarin par-dessus, du sel, du poivre, un filet d'huile d'olive (ou une cuillère à soupe de graisse d'oie, comme vous préférez), et c'est parti pour une heure et quart à 180° (four traditionnel ou chaleur tournante).
Tout ce petit monde va lentement faire connaissance... Tandis que votre lard se mettra à suer et à distiller son parfum parmi les légumes mélangés avant d'atteindre la croustillance ultime, le romarin, avant de sécher et de perdre admirablement ses aiguilles parmi la foule bigarrée, laissera échapper son essence si fraîche et puissante à la fois ; et puis, apothéose parmi les apogées : après un bon quart d'heure, car elle sait se faire attendre, la volaille va commencer à rôtir lentement et à laisser filer un jus concentré qui parcourra le moindre petit interstice dans un élan osmotique et sublimant...
Bon, je m'emballe un peu... Mais je vous défie de ne pas virer poète après une grande assiette de ce plaisir rustre, imprésentable, mais addictivement chaleureux.
À vous de goûter
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