Ah te voilà enfin !... Toi, qui t'étais perdu loin des nappes, des godets, des fourchettes ; toi, qui par lâcheté ou lassitude, t'étais enfermé dans un régime sans graisse ni verbe.
Je te vois au loin, en provenance des nouilles grises, tu accours, éclopé, amaigri, famélique ! Le désespoir t'a arrimé trop longtemps à la barquette de plastique, au sachet calibré, au fricassage de manchot cocalisé.
Je te dis « Re-bienvenue », mais freine ! Freine ! La fonte brûlante, ça pardonne pas ! Prends une chaise et mets tes velléités de boyaux en veilleuse.
Voici un chou. Oui du chou en août ! Oh rien de sorcier ; rien qui puisse germer d'une chimie obscure. Un beurre de terroir pour faire sauter les lambeaux du légume et les tranches d'un gros oignon, quelques épices et herbes pour le sublimer dès que ça commence à fondre : muscade, cannelle, thym, poivre, clou de girofle.
Tu me regardes avec insistance. Oui, j'ouvre un bocal ; et oui, j'en verse deux cuillères... Mêle-toi donc ! Compact, sombre, visqueux... On est loin de la pomme qu'on ajoute en toute routine, parce qu'il faut ajouter une pomme quand on prépare un chou rouge, tout comme il faut mettre un sucre dans la sauce bolognaise... Soit fadaises et fariboles en festival. Oui, de la confiture, oui, de la mûre ; ça pourrait être de la groseille aussi, pour autant que ça soit maison et que ça donne à l'ensemble une onctuosité suave toute particulière. Une botte secrète dans un gant de velours.
Mais je mets fin à ton supplice, toi, que mes métaphores rendent faible, toi, que ma désinvolture énerve, car j'ai bien conscience que mes tendances anachroniques t'harassent (pardonnez la liaison fautive, grossièreté oblige).
Cette marmite, tu la poseras sur le feu, longtemps, très longtemps... Que ta faim se tienne ! Patience est mère de vertu... Et d'une roulade de bœuf à la sauce au vin rouge et aux champignons. Mais ça, c'est une autre histoire.
À vous de goûter !