On a remis ça, une quatrième fois. Aucune raison valable de s'en
priver. Quelle erreur aurions-nous là commise !
Le restaurant fait sans conteste partie des endroits où nous
préférons nous retrouver après une semaine laborieuse et gonflée
de sollicitations diverses et (a)variées. D'emblée, en découvrant
les lieux, nous avions trouvé là dynamisme, professionnalisme,
respect, sympathie, passion, autant d'éléments indispensables à un
service de qualité et pourtant tant de fois laissés de côté dans
nombre d'établissements qui « prétendent ».
À la carte, après plusieurs expériences, il ne fait aucun doute
qu'il y a ici une cohérence ; les intitulés peuvent être peu
ou prou divisés en deux catégories : les plats qui rappellent
la cuisine d'antan, la goûteuse, la gourmande, la carnée, celle du terroir,
celle qui mijote, celle qui crépite ; et les préparations plus «
débridées », vraisemblablement nées de l'inspiration du chef,
parfois confectionnées à partir d'éléments présents dans les
plats de la première catégorie, parfois issues d'un autre monde
culinaire, plus exotique. Outre ces catégories, plusieurs plats (et même un menu) ont été imaginés spécialement pour les végétariens et les personnes présentant des intolérances ou souffrant d'allergies.
Au reste, il n'est pas non plus nécessaire de trop creuser pour
se rendre compte d'une attention certaine apportée au détail sans
que cela passe pour un excès de raffinement racoleur.
Un exemple ? Plusieurs me viennent à l'esprit, mais je vais
me cantonner à celui que je viens d'avoir le plaisir d'ajouter à la
liste et dont les saveurs me marquent encore allègrement les récepteurs gustatifs... Vous allez rire, vous gausser, vous moquer, que sais-je
encore, mais il s'agit « tout simplement » d'un
vol-au-vent. Cependant, avant de me décerner le prix du meilleur
critique de cantines d'école, prenez le temps de lire la description
suivante que je souhaite la plus fidèle qui soit :
Au centre d'une large assiette noire est déposé un feuilleté ne
ressemblant en aucune manière aux terrifiantes croustades profilées
et étouffe-chrétien d'un autre siècle. Ici la forme est irrégulière, et le chapeau
ressemble à tout sauf à l'horrible coiffe papale que les
tambouilleurs de fast-foutre ne prennent parfois même pas la peine
d'extraire du cylindre-mère avant d'y déverser leur louche de
mélange grisâtre.
Entre ce feuilleté et son sommet, se trouve la pièce maîtresse :
une sauce ni trop épaisse ni trop liquide qui hume bon le bouillon,
vous savez, celui dans lequel sont censés cuire pratiquement tous
les éléments du vol-au-vent, à commencer par la volaille même. Et
parlons-en de cette volaille, outre le fait qu'il s'agisse de
poule bio comme le rappelle intitulé, il va sans dire qu'elle est
dûment représentée : les morceaux sont nombreux, les fibres
se détachent souplement et sans effort, signe d'une viande qui a
cuit longuement et sans contrainte, et que dire de ce goût bien
présent, de loin supérieur au caoutchouc hydrogavé que l'on peut
acheter en pack familial et à moitié prix chez XXX !
Que dire de plus ? Des petites boulettes de viande
savoureuses et relevées, des champignons de Paris frais coupés épais pour
plus de texture et enfin des bâtonnets de carottes parfaitement
cuits (sans doute au bouillon ?) et qui gardent une identité
aromatique certaine, malgré un ensemble déjà bien parfumé et
parfaitement assaisonné.
En pratique, ça se passe comme ça : d'une pirouette
habile, vous saisissez de votre fourchette un peu de feuilleté, un
morceau de volaille, un champignon au passage, un segment de carotte,
le tout enrobé de sauce, et vous dégustez : croustillant (le
feuilleté au bon goût de beurre est à tomber), moelleux, végétal,
gourmand... On en redemande ! Heureusement, l'assiette est fort
bien garnie.
Après avoir raclé les dernières micro-traces de sauce (oui, je sais,
ça ne se fait pas, mais je suis mal élevé, surtout quand ça
s'impose), nous posons les armes, non sans faire part au serveur de
notre réelle appréciation. Celui-ci, visiblement enthousiasmé,
nous parle spontanément des produits utilisés et de leur provenance, de la volonté de
tout faire maison ; un potager est même sur le point d'être
mis en culture à l'arrière du restaurant. La discussion est
intéressante et souligne une impression : la Saisonnière
recherche le vrai et va dans la bonne direction.
Et puis vient déjà l'heure de partir. En voiture, nous passons
devant d'autres établissements, très nombreux et tous ouverts. Il y
a là des restaurants asiatiques à volonté, des pizzerias, des
restaurants grecs. Sur les parkings, les voitures abondent, les gens
sortent, s'enlacent, s'embrassent, s'encanaillent. C'est vendredi,
veille d'un week-end prolongé... Et pourtant, malgré cette
affluence, cette liesse palpable autour de nous, nous avons la
conviction, peut-être subjective (quoiqu'on en doute vraiment) et
très certainement égotiste d'avoir vécu une expérience unique :
nous avons mangé ici le meilleur vol-au-vent que nous ayons eu
l'occasion de goûter. La bouchée à la reine a le vent en poupe ;
que les courageux prétendants au trône s'avancent et se préparent
à échouer dignement.
À vous de goûter !