Ah Halloween... Ses déguisements lugubres, ses overdoses de sucreries... Tout cela resterait bien gentillet et sans conséquence si certains célébrants n'étaient pas gagnés par un vice imbécile qui consiste à éviscérer une bien pauvre et rondouillarde cucurbitacée sans défense afin de la muer en une vilaine boubouille pas sympathique... Encore seraient-ils à moitié excusés s'il leur venait la simple idée (en vertu de goûts personnels ou de négligence primaire) de livrer la vive et succulente chair de la victime en pâture à poules ou chèvres aux aguets.
Or, il en est beaucoup chez qui ladite substance n’atterrit ni au sol de la basse-cour, ni au fond d'une marmite en vue de la confection du plus simplissime potage. Magie ? Non... Crime ! Que dis-je ? Meurtre ! Horrible méfait ! Voilà bien l'acte le plus effrayant d'Halloween... À côté de ça, zombies et momies peuvent bien rechausser guenilles et bandelettes...
Bien entendu, il existe des courges dont la chair ne présente aucun intérêt gustatif et qui font dès lors idéalement office de décoration de circonstance. Toutefois, les statistiques (ainsi que de petites enquêtes oculaires officieuses menées par votre serviteur) montrent que le commun des mortels semble ne pas prendre la peine d'opérer ce petit travail distinctif pourtant tout à fait intelligent. Or, ces malfaiteurs savent-ils seulement ce qu'ils gaspillent ? Si tel était le cas, je pense qu'on les entendrait gémir et sangloter à des kilomètres à la ronde jusqu’à ce qu'aphonie s'en suive. Vitamine C, bêtacarotène, vitamines A B C D E, oligo-éléments en veux-tu en voilà... J'arrête là ? Vous ne le ferez plus ? Bien je vous crois.
Pour l'heure, nous allons hélas également sacrifier une belle courge d'hiver, mais ceci pour le plus grand plaisir de nos papilles, rassurez-vous. Ainsi, c'est la courge doubeurre dite « Butternut », un fruit un peu plus discret sur les étals des marchés et moins visé par les horribles décorateurs-amateurs-charcutiers du dernier jour d'octobre, du fait de sa couleur moins vive et de son cruel manque de pustules, que nous cuisinons ce soir.
La recette est bête comme courge, mais elle demande une certaine patience et une vigilance particulière au niveau des cuissons. Le fruit étant doté, comme toute entité physique normalement constituée, de deux moitiés, les quantités suivantes valent pour deux mangeurs. Pour commencer, choisissez donc une courge assez petite afin de pouvoir en servir une demi par personne. Tout d'abord coupez le fruit en deux moitiés égales dans le sens de la longueur. De toutes vos forces (car la chair est assez ferme), creusez la chair en conservant un demi centimètre de bord (la peau de la courge étant trop fine que pour supporter une farce à elle seule) ; réservez la chair. Sur chaque moitié, découpez délicatement une fine bande de peau sur la face convexe (pour garantir la stabilité du support et éviter ainsi les inconforts et/ou catastrophes lors de la dégustation).
Pour le risotto, commencez par peler, émincer et poêler deux petites échalotes dans un fond d'huile d'olive ; dès qu'elles sont translucides, ajoutez un verre (25 cl) de riz arborio et mélangez le tout. Je suis persuadé que vous avez pensé à sortir une portion de votre bouillon maison du congélateur... Pardon ? Vous n'avez pas de bouillon ? Vous allez oser me dire que vous n'en faites jamais ou que vous ne gardez pas ce précieux nectar ?! Bon, prenez un cube et délayez-le dans un litre d'eau, je ferme et ligature mes paupières à double tour pour cette fois, mais c'est bien parce que c'est vous... Après une minute, vous pouvez ajouter un petit verre de vin blanc sec pour déglacer la poêle ; une autre minute plus tard, vous commencerez à ajouter le bouillon, par petites louches successives, en laissant bien le temps au liquide de pénétrer les grains de riz.
Un petit quart d'heure et plusieurs louchettes de bouillon ont passé, occupons-nous maintenant de la chair de butternut : dans une petite poêle antiadhésive chaude faites sauter les morceaux de courge préalablement finement émincés dans un peu d'huile d'olive, ajoutez une branche de romarin entière (l'essence parfumera l'ensemble sans que les aiguilles ne gênent à la dégustation) et assaisonnez d'un peu de de fleur de sel.
Une fois le risotto à point (bien crémeux et presque assoiffé de bouillon), stoppez la cuisson, ajoutez une cuillère à café de romarin séché, une demi cuillère à café de poivre et salez à votre goût (en fonction du sel déjà présent dans votre bouillon à la base) ; ajoutez alors la chair de courge préalablement poêlée. Et après ? Après, c'est un peu comme ça vous chante... Pour ma part, ce fut : câpres, brunoise de Picodon (ce merveilleux petit fromage de chèvre ni trop ferme ni trop crémeux et agréablement parfumé qui fondra doucement sur l'ensemble) et une pincée de piment d'Espelette... Laissez-vous guider par votre inspiration, comme ont l'air de le faire ces maudits trucideurs de citrouilles...
Avec ça, optez, par exemple, pour un Beaumes-de-Venise ; parce que vous le valez bien.
Note : face aux éventuels détracteurs qui me vilipenderaient pour la faible proportion de courge utilisée pour l'assiette représentée sur la photo, je me défendrais, votre honneur, en leur expliquant que, n'ayant pas l'habitude de cuisiner pour moi seul, j'ai eu la main un rien lourde sur le riz, ce qui a légèrement faussé l'équilibre. Si mes mots ne vous suffisent pas, vous n'avez qu'à venir vérifier : un bol bien rempli attend sagement d'être dégusté d'ici une douzaine d'heures.
À vous de goûter !