Damoiselle, damoiseau,
Au crépuscule de vos semaines ordinaires, desquelles le vendredi soir et sa ribambelle d'heures de dégrisement du devoir accompli font office de moignon salvateur, n'aurai-je de conseil plus judicieux que de vous recommander une charmante table citadine - ni la gratuite, ni la tue-pécule - dressée en plein cœur de Mons, modeste cité doudoutifère (...et te l'taper chaque année ; les victimes locales me comprendront), chef-lieu fameux (pardonnez les postillons volontaires) d'un territoire longtemps occupé par une faune autochtonisée de force par les liens sacrés du charbon.
Ainsi, tandis que vous vous étirez à l'avance les courbatures usuelles en songeant à la détente d'à peu près cinquante heures (top chrono) dont il vous faudra occuper chaque parcelle à coup d'activités finalement trop utiles pour être tranquilles, pourquoi ne point laisser libre cours à vos instincts stomacaux primaires de primate originellement dépourvu de montre, de calendrier et de pointeuse ?
Primaire, mais non primitif. N'allons pas mélanger les cardons et les mouillettes, sacre et cordon bleus ! Car, s'il est parfaitement à même d'estomper une faim et d'étancher une soif, le lieu en question se distingue par bien d'autres singularités qui, mises bout à bout, en musique et costumes d'époque, viennent charpenter une expérience pour le moins baroque, au sens quintessencié du terme. N'ayons pas peur des mots !
Vous voilà donc, jeune couple équitablement salarié, paré de vos plus beaux atours soigneusement sélectionnés aux heures les plus cafardeuses de votre mercredi soir perdu entre un mardi à oublier et un jeudi à craindre. D'entrée de jeu, on ne vous laisse pas en reste ; après un accueil pour le moins chaleureux, l'on vous place avec humour et égards. Autour de vous, tout concourt à vous faire oublier les roulettes crissantes de votre sempiternel siège professionnel et les néons froids et surnuméraires fichés au faux-plafond amovible de votre atelier meublé et chauffé. Chaises et tables aux pieds galbés de style Louis XV, couleurs sombres et veloutées aux murs, lustres allégoriques en exergue, musique classique en fond sonore... Si vous ne vous sentez pas revenus à un temps que les moins de 300 ans ne peuvent pas connaître, il vous faudra bien vous rendre à l'évidence : vous êtes ailleurs qu'à tout autre endroit, vous êtes au Salon des lumières.
Fort heureusement, les assiettes ne vous obligeront pas aux libations orgiaques d'époque qui, si l'on tâchait d'en imaginer avec approximation l'addition finale probable (je suis d'ailleurs toujours à la recherche d'un convertisseur automatique louis d'or > euros), exploseraient très légèrement votre budget que je soupçonne toutefois respectable. En pratique, si les intitulés jouent le jeu de la fantaisie parfaitement en accord avec le thème du restaurant, les plats sont le fruit d'une cuisine contemporaine maîtrisée avec assez bien d'adresse et d'inventivité.
À présent, je vous vois tous deux réjouis, souriants et satisfaits face à ces deux cercles de porcelaine vides qui avaient jadis arborés un millefeuille de crêpes à base de poivron (épluché ! clap, clap, clap), d'aubergine, de basilic frais et de deux beaux filets de rouget barbet parfaitement cuits, avec toutefois un bémol : il semblerait que ces derniers n'aient pas été (suffisamment ?) désarêtés au préalable (hélas, le rouget peut se targuer de picoter en rafale nos chairs molles buccales si l'on ne songe pas à l’apprêter avec minutie).
Qu'à cela ne tienne, le personnel ne sera, par ailleurs, absolument pas contrarié que vous lui en fassiez la remarque ; bien au contraire, une fois votre succulent nougat glacé - lequel semble bien loin des monstrueux blocs de matière industrielle que l'on découpe à la scie circulaire à la sortie du congélateur-bahut de l'arrière-cuisine de troquets dont la salubrité n'a d'égal que l'intégrité des tenanciers - une fois donc votre délicieux dessert évanoui dans les limbes de votre tube digestif, le serveur se proposera même, non sans humour bien dosé, de vous offrir votre éventuelle consommation liquide à venir. Et pour couronner (hohoho, me gausse-je devant tant de précautions lexicales) le tout, vous goûterez à la chaleur leste des buveurs de liqueur de noisette artisanale, laquelle vous sera également offerte (oserais-je un piètre « aux frais de la princesse » ?) en compagnie de l'addition (non offerte quant à elle ; je préfère le préciser).
Tant que nous en sommes à l'addition, parlons-en, car elle fait, quoi qu'on en dise, partie intégrante de l'expérience. Pour quelques heures agréables ponctuées d'un apéritif, de deux verres de vin blanc, d'un plat et d'un dessert, il vous en coûtera la somme approximative de 85 euros pour deux personnes, soit un montant finalement tout à fait raisonnable pour un moment si plaisant.
Aux détracteurs les plus critiques qui fustigeront un décor un peu « carton-pâte » sans même s'être rendus une seule fois sur place, vous pourrez répondre avec panache et assurance en évoquant l'authenticité d'une cuisine qui n'a absolument rien à envier à d'autres restaurants traditionnels de la région, plus chers et soi-disant plus réputés (si vous me suivez... mais oui, vous me suivez)
À vous de goûter !
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