dimanche, juillet 8

[Médias] MasterChef Junior ou l’école des fanes



Tout fout le camp ! Les capacités des jeunes en langue française déclinent, smartphones et autres gadgets tactiles gagnent des paumes de plus en plus petites, et des gamines de 11 ans concoctent des Phở en moins d’une heure (un plat traditionnel vietnamien dont la préparation et la cuisson s’étalent généralement sur deux jours au minimum).

Aujourd’hui, pas de recette, de commentaire relatif à un produit testé ni de critique d’un quelconque établissement. À vrai dire, le sujet que je tenterai d’aborder s’éloigne très nettement de ce qu’est réellement la cuisine, cette activité logique et progressive qui requiert pas mal de patience et un minimum de savoir-faire.

Jeudi soir, comme beaucoup d’employés ordinaires fourbus de leur journée de dur labeur, je me suis fait avoir. Jeudi soir, j’ai regardé MasterChef Junior. En réalité, depuis deux bonnes années, peu importe la nature des candidats (professionnels, amateurs, enfants…) ou le nom de l’émission (MasterChef, TopChef…), le même traquenard nous confond en nombre, et avec le sourire.

Cette fois encore, le sentiment primaire était plutôt positif : j’allais sans doute voir de nouvelles choses, découvrir des produits, apprendre quelques techniques… L’engouement était de mise. 20h50 : nombreuses annonces publicitaires, générique, et en avant pour plus de deux heures de cuisine.

Quelle(s) différence(s) peut-il bien y avoir entre une saison normale de l’émission MasterChef et cet « hors-série » à l’occasion duquel les candidats(e)s sont âgés entre 10 et 13 ans ? Elles ne sont pas bien nombreuses : un bon gros supplément de mièvrerie, une ablation sévère des critiques objectives, une fonte subite des exigences… Certes, les gosses sont épatants : éveillés, pertinents, voire parfois matures dans leurs remarques ; l’écrémage à la sélection s’est certainement voulu assassin au possible. Au vu des personnages et des assiettes, le tri sévère s’est fait sur deux critères principaux : la bouille et les connaissances élémentaires. Après, les cris juvéniles, les petits ratés, l’épreuve évidente du dessert au chocolat… Tout ça, c’est mesuré, pensé, contractuel. À l’instar de leurs aînés, les candidats préadolescents manifestent la contamination dévastatrice des modes qui passent : ça use de feuilles de brick à gogo, ça parle de Phở (eh oui, encore…) sans toutefois savoir de quels pays sont issus carpaccio et poulet tandoori…

Et le but de tout ça ? Nous montrer quels individus constituent le pourcentage infiniment minoritaire d’enfants capables de différencier une tomate d’un concombre ? Galvaniser la frustration et l’impotence de ménagères modernes qui peinent souvent à réussir leur simple béchamel tandis que le benjamin de la famille pourrait être hypothétiquement en mesure de confectionner le plus beau soufflé qui soit ? (Pour la peine, tu  seras privé de dessert ! File dans ta chambre !) Les questions s’alignent… Une chose est certaine, néanmoins : pour la pédagogie, on repassera… La vitesse suraccélérée des épreuves, la brièveté des séquences et les gros plans répétés et intempestifs sur le chronomètre empêcheront tout apprentissage même fugace. Mais ne prenons pas des projecteurs pour des néons de cuisine ; téléréalité oblige, observer l’intégralité des étapes nécessaires à la confection d’une sauce béarnaise, sans musique d'arrière-plan ni commentaires incongrus, ça n’intéresse plus personne… Même si un gamin de 10 ans est aux commandes.

Et puis le gagnant ? Pourquoi lui ? Son boudin noir, servi à l’occasion de l’épreuve finale, était-il vraiment plus croustillant ? Sa patate, mieux cuite ? Ou bien est-ce sa frimousse, rappelant de loin le héros mourant du très larmoyant Oscar et la dame rose qui a attendri un jury composé d’anciens candidats adultes tout aussi piégés que lui-même, que ses concurrents, que moi…  gobé trois heures durant par du vide qui gigote ?

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