mercredi, mars 18

[Sortie] 44, rue des Fripiers



Que dire, que dire ! Que dire, sinon glorifier la nouvelle Capitale européenne de la culture, éphémère éloge de tentatives vaines de métamorphose hélas illusoire.

La joie est dans les rues, la liesse est sur les tables ! Mons 2015 voudrait aussi briller par son terroir de bouche. C'est écrit.

Alors plongeons-nous, immergeons-nous dans cette euphorie populaire d'un temps. Pour notre repas entre frères (prévu pour des raisons Vraies et un moment résolument authentique, en revanche), nous visons le 44, rue des Fripiers, adresse assez connue située en plein cœur du centre-ville montois.

L'ardoise aux intitulés peu complexes mais alléchamment droit-au-butistes ainsi que l'épure plutôt traditionnelle du lieu nous appelle à découvrir l'endroit. Seuls (pour commencer) dans la petite salle, nous sommes accueillis aimablement.

Et c'est à cet instant précis que germe, dans la tête de votre humble serviteur à l'estomac chantonnant, le premier d'une série d'intrigants points d'interrogation.

« Vous désirez un apéritif ? Un verre de vin ? » s'enquiert la décidément très sympathique serveuse. Étant donné le concept originel de l'établissement (un bar à vins qui a voulu voir « plus grand ») et au vu des différentes bouteilles exposées en salle, la deuxième proposition mérite que l'on s'y attarde...

« Vin blanc ? D'accord, je vous apporte ça tout de suite ! »

Mais encore ? Sans pour autant vouloir connaître la couleur des charentaises de rechange du bénévole saisonnier qui a accepté de gambadouiller entre les ceps au moment des vendanges pour empoigner les plus nobles grains, le client serait peut-être en droit de recevoir un peu plus de précisions sur le liquide clair non identifié déposé maintenant sur sa table. Cependant, ne jugeons pas trop vite, car cette inconnue peut parfois permettre de belles surprises non influencées par la connaissance d'un joli nom ou d'une charmante étiquette. Cette objectivité plutôt rare conjuguée à mon infinie subjectivité m'a donc permis de m'exprimer : un porto lambda serait peut-être mieux passé.

Soit ! Peut-être cette « soupe de légumes verts au curry » pourra-t-elle me faire oublier ces quelques sulfites dispensables ? Si l'ensemble est simple et correct, le doute plane de nouveau quant à la nature de ladite mise en bouche. Est-il si honteux de causer cerfeuil ? D'énoncer le cas du poireau ? D'évoquer l'existence d'une fane quelconque ? Certains ne se gêneraient pourtant pas pour balancer du poivron en février... Quoi qu'il en soit, l'incertitude demeurera, tant le curry prend le dessus, sans excès néanmoins, car la mixture est plutôt plaisante.

C'est alors que nous sommes de nouveau confrontés aux mystérieuses et sibyllines bibines... Pour poursuivre cette petite étude de cas qui m'intrigue assez bien, je continue en blanc. Quelle sentence laconico-cryptée qui dépassera peut-être mes compétences minables de petit client médiocre vais-je là recevoir ? Avec quelle pique de quelle verbe énigmatique vais-je pouvoir empaler mon « hareng ultradoux et son moelleux de pommes de terre » ?

« Vin blanc ? On va plutôt partir sur le Sud alors. »

Le Sud, bon... Merci Nino, merci Ninette... Mais serons-nous au sud du Sud ? Tout en bas, quelque part au pays de feu Nelson ou ailleurs, comme au milieu d'un coteau chilien ? Ou bien au sud de Mons, soit pratiquement toute région viticolement exploitable en ce bas monde ?... J'en finis par déduire, en décodant le message, que nous serons dans le bas de l'Hexagone, ce qui nous laisse malgré tout encore pléthore de choix...

Mais je ne m'avoue pas vaincu, et dans une ultime tentative de percer je ne sais quel mystère, je m'attaque au rouge. À vrai dire, si je pense avoir reçu une vague information sur ce que contenait mon verre, le souvenir que je garde de la dégustation ne m'a tellement pas marqué que mon cerveau a dû finir docilement par faire le tri, gentil garçon.

Bon ! Qu'en retenir, qu'en retenir ? Pas que du vague, pas que du doute, heureusement. Si l'entrée se voulait très simple, elle n'en restait pas moins goûteuse et bien dressée. Par ailleurs, la cuisson de la généreuse pièce de viande chevaline de qualité qui a suivi était bien maîtrisée et le dessert, malgré trois poils qui venaient le ponctuer, a rempli son contrat chocolaté. Suite à ce dernier incident, nous avons d'ailleurs eu l'occasion de prendre une consommation supplémentaire aux frais de la maison. Vous me diriez que ça va de soi, je vous répondrais que, de nos jours, on n'est plus sûr de rien ! Un dernier conseil : pour éviter toute déception, n'allez pas au 44, rue des Fripiers en pensant y découvrir des breuvages, à moins que vous ne connaissiez le sésame pour que l'on vous apporte une carte des vins digne de ce nom et de la cave que l'on semble nous vanter sur la carte de visite de l'endroit.

À vous de goûter !

lundi, mars 2

[Sortie] Vilaine Fille, Mauvais Garçon






Il est de ces jours où l'ordinaire répandu, le communément admis, le médiatisé contractuel... où le déversé lucratif, en somme, ne semble plus du tout tourner rond. Contre toute attente, des questions germent : la bave de ces deux trentenaires stéréotypés déjà bien bedonnants et démissionnaires d'une famille à peine éclose, ce liquide donc, cette excrétion visiblement pavlovienne, en bref, provient-elle de l'alerte sonore du générateur d'instantanéité à ondes sur le point de dégueuler deux proies prêtes à gober ou de la perspective d'engouffrer de l'inédit tout chaud, de l'hybride finement étudié, savant mélange de pizza archiplate et de burger ultramou que ces prédateurs dans leur sofa-savane pourront allègrement absorber sans gaspiller une miette de l'énergie consacrée au suivi d'une bonne quarantaine de jarrets en activité sur fond de gazon vert HD et de chants bovindicatifs. 

L'heure donc de mettre les voiles vers une chapelle où l'on nous conterait que l'éplorée gastronomie, en chair et en chère, n'est pas tout à fait déchue, pas encore un rite du passé.

L'épure est désormais au restaurant ce que l'iPhone est à la main gauche moite d'un ado gourd. Encore faut-il savoir maîtriser la chose... Là où nous pénétrons, l'objectif semble d'emblée atteint, grâce à une note d'originalité issue d'une pénombre bien maîtrisée qui favorise l'intimité des tablées et dont les seules rémissions mettent en lumière les assiettes présentées. Les assiettes, parlons-en ; après une commande prise tout sourire, une petite bouchée servie sans exagération ni fausse note nous donne le ton. Ce sont des rillettes de tourteau accompagnées d'un pesto de wasabi qui nous stimulera les papilles une première fois : goût, fraîcheur, couleurs, inédit, simplicité exigeante... Voilà la trame.

C'est alors qu'arrive le véritable début des réjouissances : cinq noix de Saint-Jacques snackées au piment doux antillais accompagnées de quelques tronçons de salsifis tendres et juteux à souhait sont nappées d'une crème de Muscat légèrement sucrée et - grande surprise ! - surmontées par un effiloché de queue de bœuf très savoureux mais dont la coupe un peu épaisse et le manque de tendreté (sur certains morceaux) perturbent un rien la finesse globale du plat.

Impatience, impatience... Nous sirotons un verre de l'excellent Pessac-Léognan blanc choisi par nos soins pour nous accompagner tout au long de la dégustation. Et nous voilà délivrés de l'attente : notre carré d'agneau désossé en croûte de comté et d'ail nous parvient. La tendreté de la viande n'a d'égal que sa saveur. La cuisson « rosé » demandée est parfaitement respectée et la croûte tient superbement tête à la viande sans la dominer. S'il y avait un bémol à noter, il porterait sans doute sur les accompagnements : certes, le goût des aubergines grillées (pas de saison, hélas) estompait parfaitement l'a priori de fadeur dont souffre souvent injustement ce légume, mais c'est l'absence totale de féculent, même en proportion réduite, et la quasi inexistence de la mousseline de shiitake, pourtant bien présente dans l'intitulé qui nous ont quelque peu déçus.

Nos desserts eux non plus ne manquaient pas de panache : du chocolat très bien traité sous forme de sphère et de moelleux, très justement accompagnés tantôt d'une crème au citron et d'une succulente meringue au safran, tantôt d'une glace crème brûlée et d'un crumble de cacao. Tout vilains garnements que nous sommes, nous voulions poursuivre l'expérience autour d'un thé. Quelle ne fut pas notre très agréable surprise de voir arriver (dans les mains d'un énième serveur - nous en aurons eu au moins quatre sur l'ensemble du repas, une affluence qui pourrait déconcerter) un coffret labellisé Harney & Sons (marque que nous affectionnons). Hélas, le point final de notre repas fut marqué d'une sécheresse assez oubliable : deux muffins-éponges finalement plutôt fades auraient bien mieux fait de rester en cuisine. Soit, au vu de ce qui a précédé, nul besoin d'effort pour oublier cette faiblesse.

Et nous voilà déjà dehors... Difficile de se réhabituer à la lumière naturelle et au réel qui court les rues. Dur de se dire qu'une fois rentrés, le danger nous guettera, celui, bien insidieux, de voir de nouveau, entre deux jingles, une ménagère vernie et maquillée déverser une brique de soupe forestière surmoulue dans un très incongru poêlon en cuivre, afin de contenter son mari de composition bourru, tout droit revenu du jardin, où il ne semble pousser que des pâquerettes, étant donné l'air satisfait et soulagé de l'affalé masculin.

Mais soit, nous dirons que notre fuite en aura valu la peine...

À vous de goûter !