lundi, mars 2

[Sortie] Vilaine Fille, Mauvais Garçon






Il est de ces jours où l'ordinaire répandu, le communément admis, le médiatisé contractuel... où le déversé lucratif, en somme, ne semble plus du tout tourner rond. Contre toute attente, des questions germent : la bave de ces deux trentenaires stéréotypés déjà bien bedonnants et démissionnaires d'une famille à peine éclose, ce liquide donc, cette excrétion visiblement pavlovienne, en bref, provient-elle de l'alerte sonore du générateur d'instantanéité à ondes sur le point de dégueuler deux proies prêtes à gober ou de la perspective d'engouffrer de l'inédit tout chaud, de l'hybride finement étudié, savant mélange de pizza archiplate et de burger ultramou que ces prédateurs dans leur sofa-savane pourront allègrement absorber sans gaspiller une miette de l'énergie consacrée au suivi d'une bonne quarantaine de jarrets en activité sur fond de gazon vert HD et de chants bovindicatifs. 

L'heure donc de mettre les voiles vers une chapelle où l'on nous conterait que l'éplorée gastronomie, en chair et en chère, n'est pas tout à fait déchue, pas encore un rite du passé.

L'épure est désormais au restaurant ce que l'iPhone est à la main gauche moite d'un ado gourd. Encore faut-il savoir maîtriser la chose... Là où nous pénétrons, l'objectif semble d'emblée atteint, grâce à une note d'originalité issue d'une pénombre bien maîtrisée qui favorise l'intimité des tablées et dont les seules rémissions mettent en lumière les assiettes présentées. Les assiettes, parlons-en ; après une commande prise tout sourire, une petite bouchée servie sans exagération ni fausse note nous donne le ton. Ce sont des rillettes de tourteau accompagnées d'un pesto de wasabi qui nous stimulera les papilles une première fois : goût, fraîcheur, couleurs, inédit, simplicité exigeante... Voilà la trame.

C'est alors qu'arrive le véritable début des réjouissances : cinq noix de Saint-Jacques snackées au piment doux antillais accompagnées de quelques tronçons de salsifis tendres et juteux à souhait sont nappées d'une crème de Muscat légèrement sucrée et - grande surprise ! - surmontées par un effiloché de queue de bœuf très savoureux mais dont la coupe un peu épaisse et le manque de tendreté (sur certains morceaux) perturbent un rien la finesse globale du plat.

Impatience, impatience... Nous sirotons un verre de l'excellent Pessac-Léognan blanc choisi par nos soins pour nous accompagner tout au long de la dégustation. Et nous voilà délivrés de l'attente : notre carré d'agneau désossé en croûte de comté et d'ail nous parvient. La tendreté de la viande n'a d'égal que sa saveur. La cuisson « rosé » demandée est parfaitement respectée et la croûte tient superbement tête à la viande sans la dominer. S'il y avait un bémol à noter, il porterait sans doute sur les accompagnements : certes, le goût des aubergines grillées (pas de saison, hélas) estompait parfaitement l'a priori de fadeur dont souffre souvent injustement ce légume, mais c'est l'absence totale de féculent, même en proportion réduite, et la quasi inexistence de la mousseline de shiitake, pourtant bien présente dans l'intitulé qui nous ont quelque peu déçus.

Nos desserts eux non plus ne manquaient pas de panache : du chocolat très bien traité sous forme de sphère et de moelleux, très justement accompagnés tantôt d'une crème au citron et d'une succulente meringue au safran, tantôt d'une glace crème brûlée et d'un crumble de cacao. Tout vilains garnements que nous sommes, nous voulions poursuivre l'expérience autour d'un thé. Quelle ne fut pas notre très agréable surprise de voir arriver (dans les mains d'un énième serveur - nous en aurons eu au moins quatre sur l'ensemble du repas, une affluence qui pourrait déconcerter) un coffret labellisé Harney & Sons (marque que nous affectionnons). Hélas, le point final de notre repas fut marqué d'une sécheresse assez oubliable : deux muffins-éponges finalement plutôt fades auraient bien mieux fait de rester en cuisine. Soit, au vu de ce qui a précédé, nul besoin d'effort pour oublier cette faiblesse.

Et nous voilà déjà dehors... Difficile de se réhabituer à la lumière naturelle et au réel qui court les rues. Dur de se dire qu'une fois rentrés, le danger nous guettera, celui, bien insidieux, de voir de nouveau, entre deux jingles, une ménagère vernie et maquillée déverser une brique de soupe forestière surmoulue dans un très incongru poêlon en cuivre, afin de contenter son mari de composition bourru, tout droit revenu du jardin, où il ne semble pousser que des pâquerettes, étant donné l'air satisfait et soulagé de l'affalé masculin.

Mais soit, nous dirons que notre fuite en aura valu la peine...

À vous de goûter !

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