lundi, juin 17

[Ce soir...] Brochette de lotte et chorizo grillée, salade de pommes de terre froides paprika-moutarde et asperges froides vinaigrées


Le vent se calme, la pluie cesse, les nuages gris houille se disloquent en de pâles voiles paisibles... Tout semble prompt au retour de la quiétude, à la renaissance logique des cris d'oiseaux ; le sombre, le mal semblent déjà à mille lieues, évaporés ou boutés hors de la présente sérénité... 

C'est alors que, venu du fin fond d'une somptueuse vallée harmonieusement sauvage et préservée de la civilisation, tandis que le merle noir entame ses premières sérénades de l'après-midi, un grondement sourd et odieusement polyphonique gagne peu à peu en puissance et en échos horrifiants.

Une masse encore indistincte ponctuée de bras poilus et de jambes livides en short dégouline avec hâte vers les zones clairsemées de cette belle nature déjà souillée de remugles complexes rappelant tantôt une boisson gazeuse amère, tantôt la viande de porc moutardée...

« Buuuurp », tel résonne leur hypothétique cri de guerre... « Buuuurp », tel raisonnent-ils, enflés de bière. Et voilà subitement que les hurlements cessent ; certains individus, bien organisés, ôtent de leur dos des pièces blanches assez légères et rapidement assemblées en des surfaces rondes sur quatre pieds ; un deuxième groupe s'affaire à déplier de modestes montages de toiles et de métal lesquels seront ensuite disposés ça et là, généralement à proximité l'un de l'autre, dans le but ultime de permettre la position assise, gagnée non sans un gras soupir de soulagement et un modeste pet d'usage. Au loin s'agite ce qui semble être leur chef - barbu, trapu, bossu et fier d'aborder sa coiffe rouge semi-rigide hémicylindrique et allongée dont le taureau représenté en noir et blanc sur l'une des faces semble hurler le témoignage galvanisant d'une virilité indiscutable. Par un prodige non identifié, le surpuissant gaillard parvient à créer - sur quelques brindilles sèches savamment réunies - la chaleur, la lumière... le feu ! Fascinés par ce phénomène, synonyme de renaissance des annuelles libations estivales, les bipèdes s'avancent grommelant et ricanant vers les chaudes flammes puissantes...

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Je propose que nous en restions là. Après tout, libre à vous de vivre cette expérience riche en sensations que constitue le barbecue du Belge moyen.

Côtelette en berne, je vous propose la transgression, que dis-je, l'hérésie ! Ainsi, c'est loin des vitrines précautionneusement frotti-frottées au petit matin dans le but ambitieux d'en ôter les derniers résidus inégaux et protéiformes des expressions muqueuses et salivaires liquoreuses émises bien congrument (selon un usage consumériste pantomimique qui m'échappe...) par nombre d'à-vos-rangs-fixe affamés (mais bave en veilleuse ; tout de même !), lorgnant tel ou tel muscle moulu, cousu ou fignolé en boyau. C'est donc (pour nous résumer un fifrelin) loin du docte bidochard, que je m'ébaudis à vous emmener sans attendre.

Mais, vous pâlissez déjà, frêle hémoglobiné d'usage, vous qui ne considériez visiblement le rayon poissonnerie que comme un autel à la bonne conscience ou, pire, comme un pis-aller protéique, à présent que la chair de tout mammifère terrestre communément comestible a tâté de la pointe de vos fidèles et asservies canines.

Magnanime et tempérant serons-nous pour cette unique fois en vous imposant un poisson ferme et potentiellement assimilable à de la volaille. Dans notre élan de bonté, nous tâcherons même d'en agencer les morceaux en une pièce communément dévorée par les carnivoraces que vous êtes : la brochette ; le support étant, pour l'heure, insidieusement remplacé par une branche de romarin frais dénudée. Clémence des clémences, quelques rondelles de chorizo naturel insérées ça et là devraient vous rappeler votre passé déraisonnable de phagocyteur de bétail à bilan carbone suffocant.

Bien, vous vous écartez maintenant de la foule ripailleuse ; vous ne songez même plus à la partie de pétanque animée qui s'en suivra et que le gros dédé, débordant de merguez molle et de pain trop blanc, finira par gagner, comme toujours (trop fort, ce gros dédé...). Emportez donc votre brochette, un chouïa de salade de pommes de terre relevée et une dose respectable d'asperges froides bien assaisonnées ; tenez, asseyez-vous là, à l'ombre de cet arbre ; vous devriez pouvoir y manger seul, au calme, sans tape dans le dos ni karaoké endiablé.

À vous de goûter !



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