lundi, mai 20

[Sortie] Le Marchal

Ah, la gastronomie montoise... Si vous en restez à cette exclamation pour le moins lacunaire, à moins que sa nébulosité vienne servir une construction suggestive d'un genre curieux, il est très probable que vous soyez tenté(e) de découvrir ces mets d'un terroir exotique par la grande porte, c'est à dire par l'intermédiaire de l'une des maisons les plus réputées de la région.

Imaginons ainsi que vous soyez parisien(ne) et qu'à l'occasion d'un court séjour au cœur du chef-lieu hennuyer, vous cherchiez à vous sustenter de manière représentative et agréable. Bonheur des coïncidences, les innombrables tentacules informationnels qui composent le Dieu Internet vous proposent un restaurant apparemment à la hauteur de vos attentes. Sur le site dudit établissement, les mentions « centre historique », « cuisine de terroir », « région montoise », « cuisine à la fois classique et moderne » vous sautent ainsi aux yeux, dont les pupilles se dilatent déjà par anticipation. S'il fallait encore vous convaincre, vous liriez les nombreux avis laissés par les clients ; si très peu déplorent l'un ou l'autre élément négatif ponctuel (une musique d'ambiance peu adaptée, une certaine lenteur du service, un cadre un peu trop classique...), vous constaterez aisément que la dithyrambe globale et sans concession est légion.

Vous voilà tranquillisé(e), vous qui ne pensiez pas arrêter un choix aussi rapidement ; vous vous féliciteriez presque en vous disant que vous venez sciemment et par avance de réussir votre repas.

Jour J ! Vous voilà face au bâtiment qui brille par son style ancien (« oh, comme j'ai bien fait ! »). En ce qui concerne l'aménagement intérieur, votre jugement pourra s'en trouver un rien plus modéré ; la salle est certes grande, les plafonds sont certes hauts (typiques d'une maison de maître), mais les bémols viennent bien vite s'aligner en un collier lourdingue et d'assez mauvais goût : les lustres sont sales ; les chaises sont d'époque mais d'une époque difficilement descriptible, perdue entre l'ancien et le moderne, de ce style suranné dès la naissance qui a dû ne se vendre correctement qu'au cours d'une poignée d'années perdues en plein cœurs des Trente (soi-disant) Glorieuses ; la table à laquelle vous vous asseyez est assez maladroitement et bruyamment agrandie par un serveur qui peine (si peu) à dompter le système de fixation du rabat...

Vous mettez ces premières impressions négatives sur le compte de trop grandes attentes qui vous empêchent de considérer les choses de manière objective... Concentrons-nous donc sur les assiettes !

Bien mal vous en prend... Avant même que ne vous soit servi le premier plat du Menu du Marché (entrée-plat-dessert [32 euros] + forfait apéritif, vins, café et mignardises [20 euros]), voilà que vous recevez deux salves de mises en bouche d'un genre particulier ; ce n'est pas tant que vous soyez déconcerté(e) par une originalité décoiffante, non non, c'est autre chose... un sentiment de tristesse, voire de morosité existentielle vous prend lorsque vous considérez la première assiette rectangulaire que l'on pose devant vous... Ci-gisent un feuilleté roulé trop cuit, une rondelle de concombre flanquée d'un lambeau de saumon fumé plié à la sauvette et de miettes d'échalote, une feuille de chicon dans laquelle reposent fébrilement quelques crevettes grises à la mine plus basse que la marée, sans compter l'unique olive noire flétrie dont la solitude manifeste doit pouvoir justifier la traînée noirâtre qu'elle a laissé sur l'assiette à son pigment défendant...

Tout cela est gobé en un rien de temps, ainsi que la deuxième assiette dont la seule et unique qualité pourrait être la velléité « mangeons local » qui ne peut néanmoins pas compenser un dressage digne d'une brasserie modeste (est-il encore concevable de servir des carottes râpées dans un restaurant gastronomique ?!) et un choix de support plutôt calamiteux (mais les goûts et les couleurs... oui, voilà, tout le problème justement : les couleurs !).

Vous anticipiez votre plaisir ? Hélas, vous en venez maintenant à appréhender la prochaine déception. Fort(e) d'une certaine perspicacité, vous avez certainement envisagé les quelques champignons noirâtres farcis d'un frêle escargot non moins sombre, le tout déposé sommairement dans une assiette à bord jaune ponctuée de motifs bleus et dont les seuls éléments décoratifs sont des chutes de poivron rouge (non épluché) et de carotte alignées plus ou moins symétriquement et dont chacune excelle par sa forme unique et son inutilité flagrante.

De même, vous avez dû vous attendre à rester assez perplexe devant le navarin d'agneau printanière que l'on vous sert à l'instant ; si les cuissons semblent maîtrisées (ouf !) et si le dressage peu raffiné d'un plat de cuisine traditionnelle ne vous choque pas (bien que vous ayez une vague idée d'une louche géante et suintante venant déposer négligemment une certaine quantité de tambouille sur ce qui allait être votre future assiette), vous ne pouvez vous empêcher d'exprimer une moue renfrognée en goûtant ce qui semblait être une bonne purée classique mais qui se révèle être un amas excessivement acide et citronné peut-être (pas sûr... mais sure !) à base de pomme de terre... Pour vous rétablir, une gorgée du vin rouge inclus dans le menu devrait être de bon aloi. Erreur fatale, très chèr(e) ! Vous passez d'une consternation gustative à l'autre ; si, sur papier, les cépages et appellations semblaient alléchants, la dégustation ne provoque en vous qu'un énième sursaut nerveux et tristounet qui vous tiendra jusqu'au dessert...

Le dessert ? Si vous avez bonne mémoire, il s'agissait de chocolat... Oui, d'un Trio de gourmandises « tout chocolat » ! Bonheur ! Le meilleur des antidépresseurs naturels. Dans votre état, vous vous rendez compte que vous en avez salement besoin... Et puis, a-t-on jamais été déçu par un dessert à base de chocolat ? Après tout, ce goût unique et particulier ne peut que difficilement varier.

Vous en aviez cauchemardé ? Marchal l'a fait ! Un dessert fantomatiquement insipide et éprouvant à la dégustation :

- Boule de glace stracciatella à la menthe : si l'idée de base est bonne, le chocolat est coupé en de si gros fragments que la dent doit opérer un certain effort pour en venir à bout, tandis que la glace (dont le goût de menthe est si discret que quasi inexistant) vient gentiment vous chatouiller les mâchoires.

- Mousse à l'orange sanguine et au chocolat : orange sanguine ? chocolat ? Difficile à dire ; de l'œuf, il y en a, c'est certain ; les copeaux noirâtres sont eux si coriaces que l'on songerait davantage à des brisures de pâte de fruit trop cuite.

- Moelleux au chocolat : à moins que vous ignoriez qu'un moelleux était un gâteau, l'apparence de cette mousse moulée en terrine vous intrigue assez bien ; sans que l'allure soit réellement repoussante, vous vous questionnez un rien sur la démarche de l'auteur du méfait ; encore une fois la dégustation vous laisse bras ballants et langue inerte... Mollasse, pâteux, la tentative d'ajout d'arôme de café masque totalement le goût du chocolat et un élément non identifié à base de noisette pêche par son manque flagrant de croustillance... À bout de mastication inutile, vous ne finissez pas votre assiette.

Un café (servi dans une jolie tasse verte ponctuée de coccinelles... joli tableau cartoonesque récapitulatif de votre désolation) et quelques mignardises insipides et peu respectueuses des produits plus tard, vous sortez avec une mauvaise image de l'établissement et, si votre mécontentement inhibe votre bon sens (vu la situation, on vous le pardonnera...), de la gastronomie montoise toute entière. Au mieux, vous trouverez une friterie ouverte en ville ; au pire, vous quitterez la région séance tenante.

Pour résumer :

Rendez-vous au Marchal si :

- Vous souhaitez revivre cette époque où l'on vous servait une tranche de pâté et des carottes râpées trop vinaigrées dans un restaurant gastronomique.

- Vous voulez mesurer votre sens critique à l'aberrance des commentaires élogieux des autres clients dont le palais et les yeux ne doivent pas être configurés comme les vôtres.

- Vous cherchez à paraître dans une maison sélecte de la ville de Mons (future capitale européenne de la culture ; une pensée effrayante quand l'on sait que des centaines de personnes découvriront la gastronomie locale par ce biais) sans même songer à ce que vous pourrez bien y manger.


Ne vous rendez pas au Marchal si :

- ... eh bien, en fait, non, ne vous y rendez pas.


À vous de goûter...




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